Transporté à l’hôpital dans la nuit du 24 au 25 août, Igor Kalyapin a été attaqué à son domicile, dans la campagne de Nijni-Novgorod, à l’est de Moscou, pendant une fête d’anniversaire, par un policier. «Il m’a frappé et voulait me percer la gorge avec un éclat de verre», a rapporté le fondateur du Comité contre la torture et membre du Conseil des droits de l’homme rattaché au Kremlin. Dans une interview retransmise sur le canal Telegram «Attention aux informations», il a expliqué qu’il ne connaissait pas l’agresseur, qui s’est présenté comme un «ami d’ami» et chef des enquêtes criminelles de la ville. Son identité a été confirmée dans le week-end par Eva Merkacheva, journaliste, membre du Conseil des droits de l’homme et de la Commission de surveillance publique de Moscou. Il s’agirait effectivement d’un chef de police nommé Sergeï Chernigovsky, pas en service au moment de l’agression.
«Ce policier peut représenter une réelle menace»
«Ses collègues disent qu’ils ont remarqué des choses étranges à son sujet, a-t-elle écrit sur Telegram. Quand il boit, il devient si agressif qu’il peut représenter une réelle menace.» La journaliste a affirmé qu’une procédure pénale a été ouverte contre lui pour «menace de mort ou de lésions corporelles graves» et qu’il a été licencié. «Sans donner d’explication, il a dit qu’il devait me tuer, ce qu’il a essayé de faire pendant quinze à vingt minutes», a raconté le défenseur des droits de l’homme à l’agence Ria Novosti, expliquant qu’il ne savait pas si le mobile concernait son travail. Son association avait été fondée en 2000 et enquêtait notamment sur les crimes et délits commis par les forces de l’ordre, en Russie et en Tchétchénie. «De toute évidence, un policier avec ce niveau d’agressivité, incapable de se contrôler, considère les défenseurs des droits de l’homme comme des ennemis vicieux, écrit quant à elle Eva Merkacheva. Ceux qui emploient de telles “méthodes” sont le plus détestés non pas par leurs victimes, mais par ceux qui leur font remarquer l’illégalité de telles choses. Cela pourrait expliquer la haine du major à l’égard de Kalyapin et le fait qu’il crie qu’il y a une “mission à tuer”. Les informations n’ont pas été confirmées par le ministère de l’Intérieur russe.
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Cette «mission» a été filmée : Igor Kalyapin a expliqué avoir remis les vidéos de surveillance de la maison aux enquêteurs. Invité à entrer, le présumé policier aurait fait tomber le militant au sol et l’aurait étranglé. Il aurait ensuite cassé une vitre, coupant le visage d’Igor Kalyapin. Résultat : un nez et des côtes cassées, et la tête qui «bourdonne». Le militant réussit à s’échapper et à appeler la police ; l’agresseur est arrêté.
Des menaces depuis le début de l’année
Les menaces ne sont pas nouvelles. En février, après avoir démissionné de son poste de président du Comité contre la torture, Igor Kalyapin avait expliqué n’avoir aucune intention de quitter la Russie. Le 24 février, jour du début de l’offensive russe en Ukraine, il avait été menacé avec la journaliste Elena Milachina de Novaya Gazeta, par le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov, qui les qualifiait de «terroristes» : «Nous avons toujours détruit les terroristes et leurs complices, entre lesquels il n’y a pas de différence et nous continuerons à le faire avec eux.» La journaliste a fui le pays. En janvier, l’avocat du Comité contre la torture Abubakar Yangulbayev, «ennemi numéro 1» de Ramzan Kadyrov, avait été confronté aux forces de l’ordre tchétchènes, menacé et persécuté. Sa mère avait été enlevée et des portraits de lui avaient été brûlés lors d’une manifestation à Grozny.
Plus tôt, le 29 janvier, la porte de l’appartement de la mère d’Igor Kalyapin, à Nijni-Novgorod, avait été recouverte d’affiches accusant son fils de «défendre les terroristes» et d’être un «agent de l’étranger» qui a «vendu sa patrie contre les subventions allemandes et américaines». Par le passé, il avait également été victime d’attaques, le visant personnellement. Le 11 décembre 2014, lors d’une conférence de presse à Moscou, deux individus lui jettent des œufs dessus alors qu’il dénonce les «punitions collectives» en Tchétchénie. Trois jours plus tard, des hommes pénètrent dans les locaux de l’association et incendient les lieux. Deux ans plus tard, le 16 mars 2016, Igor Kalyapin est attaqué par une quinzaine d’hommes masqués à Grozny qui projettent sur lui des œufs, de la farine, des produits chimiques et lui donnent des coups de poing. Les policiers refusent alors d’ouvrir une enquête. La veille, le bureau de son association est perquisitionné : la police brise la serrure, fouille les lieux et scelle la porte. Finalement, le Comité contre la torture a disparu le 12 juin, à l’instar de toutes les ONG de défense des droits de l’homme critique du Kremlin.