Le tribunal de Kazan, situé au Tatarstan, en Russie centrale, a annoncé ce lundi 22 juillet avoir condamné la journaliste russo-américaine Alsu Kurmasheva à six ans et demi de prison, vendredi 19 juillet, lors d’un procès à huis clos. Elle a été reconnue coupable de diffusion de fausses informations sur l’armée russe en Ukraine, une accusation de plus en plus utilisée contre les critiques de la politique du Kremlin et de son offensive. «Ce procès secret et cette condamnation sont une parodie de justice. La seule conclusion juste serait la libération immédiate d’Alsu», a réagi Stephen Capus, le président de Radio Free Europe-Radio Liberty (RFE-RL), où elle travaillait comme journaliste depuis 1998, couvrant les sujets relatifs aux communautés ethniques minoritaires du Tatarstan et du Bachkortostan, république voisine.
Natalia Losseva, porte-parole du tribunal de Kazan, a confirmé par téléphone à l’agence Associated Press que Kurmasheva avait été condamnée dans une affaire classée secrète, sans fournir de détails sur les accusations spécifiques portées contre elle. Selon l’AFP, le mari de la journaliste, Pavel Butorin, a également critiqué vendredi sur X le «secret» imposé par la justice russe sur cette affaire, soulignant qu’Alsu Kurmasheva n’était pas accusée d’espionnage ou de trahison. «Sa famille n’a pas été informée de la date du procès ni des “preuves” de la “culpabilité” d’Alsu. Ceux qui la détiennent doivent être réticents à divulguer toute information relative aux poursuites», a dénoncé le directeur de Current Time, chaîne de télévision diffusée en russe de RFE-RL. «Mes filles et moi savons qu’Alsu n’a rien fait de mal. Et le monde le sait aussi. Nous avons besoin d’elle à la maison», a-t-il assuré sur X ce lundi.
Le procès, débuté le 18 juillet, s’est terminé le lendemain par le verdict. Selon le média pro-gouvernemental rbc.ru, la journaliste, âgée de 47 ans, a été accusée d’avoir diffusé de «fausses informations» dans le livre Non à la guerre. 40 histoires de Russes s’opposant à l’invasion de l’Ukraine, publié par le comité éditorial d’«Idel. Real» en novembre 2022. Ce livre contient des témoignages de résidents russes sur le premier jour de l’invasion de l’Ukraine et leurs réactions à ces événements, explique l’ONG OVD-Info, spécialisée dans le suivi de la répression en Russie.
«Agents étrangers»
Les problèmes de Kurmasheva avec les autorités russes ont commencé bien avant ce verdict. En mai de l’année dernière, elle était rentrée à Kazan pour rendre visite à sa mère malade, selon l’AFP. «Nous vivons maintenant – et il n’y aura pas d’autre temps pour nous. Le “temps” bien sûr continuera, mais peut-être sans l’un de nos proches qui a besoin d’aide aujourd’hui. […] Je suis responsable de ma famille, de mes jeunes enfants, de ma mère âgée», a-t-elle écrit depuis sa cellule en janvier, en réponse à ceux qui louaient son courage de rentrer chez elle «en ces temps troublés».
Liberté de la presse
A son départ prévu le 2 juin, la journaliste a été interpellée pour ne pas avoir enregistré son passeport américain auprès des autorités russes. Ses documents lui ont été confisqués, l’empêchant de quitter le pays depuis lors. Quatre mois plus tard, elle a été arrêtée et placé en détention provisoire pour ne pas avoir fourni les documents nécessaires à son inscription au registre des «agents étrangers». Selon l’ONG OVD-info, les autorités l’accusent d’avoir recueilli des informations sur des activités militaires utilisables par des sources étrangères contre la sécurité de la Russie et d’avoir omis de soumettre au ministère de la Justice les documents requis pour le registre des «agents étrangers».
La détention de Kurmasheva a été prolongée à plusieurs reprises, et elle a passé un total de neuf mois en détention provisoire. En avril, le président américain, Joe Biden, a publiquement demandé sa libération ainsi que celle du journaliste Evan Gershkovich, qui a reçu le même jour qu’elle une peine de seize ans de prison pour des accusations d’espionnage que la Russie n’a jamais prouvées, l’ensemble de la procédure ayant été classée secrète. «Le journalisme n’est certainement pas un crime», avait déclaré Biden à cette occasion.