«Contre toute attente, Oleg Orlov ressort libre du tribunal.» C’est sur X (anciennement Twitter) que Memorial France a annoncé la (fausse) bonne nouvelle. La justice russe a reporté ce jeudi 14 décembre le procès visant le dissident de 70 ans Oleg Orlov, qui devait être rejugé en appel à Moscou pour avoir dénoncé l’offensive en Ukraine. «La Cour a rendu son verdict : le tribunal municipal de Moscou annule la condamnation […] et renvoie l’affaire» au parquet, a précisé l’organisation. Avant de diffuser une photo de l’intéressé, libre, s’adressant aux journalistes et à la foule qui l’attendaient dehors, sous la neige.
Contre toute attente, Oleg Orlov ressort libre du tribunal et parle aux journaliste et à la foule qui l’attendait dehors. pic.twitter.com/AJJUFsyyqh
— Memorial France (@france_memorial) December 14, 2023
Oleg Orlov, cofondateur et figure historique de l’ONG russe Memorial, avait été jugé coupable en octobre de «discrédit des forces armées russes». Condamné en première instance à une amende de 150 000 roubles (environ 1 400 euros), il risquait trois ans de prison en appel. A l’issue de la (courte) audience ce jeudi, le tribunal municipal de Moscou a expliqué dans un communiqué avoir renvoyé l’affaire au parquet afin d’éliminer des «obstacles» juridiques, sans préciser lesquels.
«Epuiser» Orlov et ses soutiens
Dans le système judiciaire russe, le renvoi au parquet signifie que l’accusation va pouvoir retravailler son dossier et son argumentation, y compris alourdir les charges et les peines encourues, avant une nouvelle audience dont la date n’a pas encore été annoncée. Une façon, selon Ian Ratchinski – autre figure de l’organisation – de «faire traîner» le processus pour «épuiser» Orlov et ses soutiens.
Interview
Pour l’accusé, pourtant, le comportement du parquet prouve surtout que «nous avons gagné l’affaire, d’une certaine manière, parce qu’en première instance ils n’ont rien pu prouver et n’ont pas été en mesure de présenter des preuves sérieuses». «Lors de la nouvelle enquête dans mon affaire, ils n’ont qu’à […] présenter des preuves disant que les agissements des forces russes en Ukraine sont dans l’intérêt des citoyens russes», a même ironisé Oleg Orlov auprès de l’AFP. Car si le verdict initial d’amende a été annulé ce jeudi, l’affaire est encore loin d’être terminée. La mesure préventive d’interdiction de territoire, elle, reste également en vigueur, selon Memorial France. Libre pour le moment, Oleg Orlov n’est toujours pas à l’abri d’une peine de prison.
Défenseur chevronné des droits humains
En cause : une tribune publiée sur le blog de Mediapart en novembre 2022. Intitulée «Ils voulaient le fascisme, ils l’ont eu», Oleg Orlov y accuse les troupes russes du «meurtre de masse» de civils ukrainiens, et fustige la «victoire» en Russie des «forces les plus sombres», celles qui «rêvaient d’une revanche totale» après l’effondrement de l’URSS.
Infatigable défenseur des droits de l’homme depuis les années 70, ce n’est pas la première fois qu’Oleg Orlov dénonce le régime de Moscou. «Pendant les première et deuxième guerres de Tchétchénie, Orlov a enquêté sur les meurtres de civils […] et a participé aux négociations pour la libération des prisonniers […]», détaillait en juin Memorial France, avant d’ajouter que l’activiste avait, en 2014-2016, «dirigé le travail de HRC Memorial dans la zone de conflit armé dans l’est de l’Ukraine». Au fil des années, Oleg Orlov est devenu l’un des piliers de l’ONG Memorial, dissoute fin 2021 par la justice russe, avant d’être récompensée par le prix Nobel de la Paix en 2022.
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«On me poursuit uniquement car j’ai fait usage de mes droits»
Ses convictions, Orlov refuse résolument de les taire. Même quand il risque sa liberté. Lors de son procès en première instance, ouvert à Moscou en juin dernier, le militant avait fait de la salle d’audience une tribune contre l’offensive en Ukraine et la répression en Russie. «On me poursuit uniquement car j’ai fait usage de mes droits», avait-il déclaré en octobre, affirmant que le conflit détruisait «l’avenir» de son pays, qui s’était retrouvé selon lui dans «le monde de George Orwell».
Ce jeudi matin encore, c’est avec le sourire qu’Oleg Orlov est arrivé dans le palais de justice. Accompagné d’«un sac de sport contenant des vêtements, des chaussures sans lacets, et tout le nécessaire pour les premiers jours passés en prison…», l’activiste a – une nouvelle fois – refusé de baisser la tête. «J’aime mon pays et je veux pour lui un pouvoir étatique fort qui s’appuie sur le droit et ne le piétine pas», a-t-il affirmé selon Memorial France. Dans une interview accordée à Libération en octobre, Orlov l’assurait : «Je n’ai pas du tout envie d’aller en prison. Mais je ne vais pas demander leur indulgence ou me repentir, parce que cela rayerait toute ma vie et mon activité antérieures».