Un trou béant sur la une du Wall Street Journal. Et, à côté d’un petit portrait du journaliste Evan Gershkovich, une manchette : «Son article devrait se trouver là.» Le quotidien américain marque ainsi le 365e jour de détention de son envoyé spécial en Russie, arrêté il y a un an et accusé d’espionnage par Moscou. «Un an dans une prison russe. Une année d’histoires volées, de joies volées, de souvenirs volés. Le crime : le journalisme», résume le journal, qui consacre un long papier à tout ce que le reporter a manqué ces douze derniers mois. A Londres où il venait de s’installer, à Berlin avec ses amis qui témoignent, les matchs de foot, les mariages, les reportages.
Le 29 mars 2023, alors que le journaliste américain d’origine russe, accrédité officiellement par le ministère russe des Affaires étrangères est en reportage à Ekaterinbourg, dans l’Oural, il est interpellé à la sortie d’un restaurant du centre-ville. Selon le FSB, les renseignements russes, Gershkovich, «agissant sur instructions de la partie américaine, a recueilli des informations constituant un secret d’Etat sur les activités d’une des entreprises du complexe militaro-industriel russe». A 32 ans, le journaliste encourt vingt ans de prison, pour l’un des crimes les plus sévèrement punis dans le code pénal russe.
Depuis le premier jour, les Etats-Unis clament qu’Evan Gershkovich est injustement et illégalement détenu, accusant Moscou d’arrêter des citoyens américains sous des prétextes, dans le but de les utiliser comme monnaie d’échange contre des Russes emprisonnés à l’étranger. Vladimir Poutine a confirmé lui-même que des pourparlers étaient en cours dans ce sens. Jeudi 28 mars, le Kremlin a de nouveau fait état de «contacts» en vue d’un éventuel échange. Deux jours plus tôt, un tribunal moscovite prolongeait, pour la cinquième fois, la détention provisoire du journaliste, jusqu’au 30 juin. A l’issue de l’audience, l’ambassadrice des Etats-Unis en Russie, Lynne Tracy, a déclaré qu’Evan Gershkovich était remarquablement résistant, mais que son maintien en détention, depuis bientôt un an, était «particulièrement douloureux». «Les accusations portées contre Evan sont catégoriquement fausses. Il ne s’agit pas d’une interprétation différente des circonstances. Ce sont des fictions», a-t-elle dit, citée par le WSJ.
«Evan a fait preuve d’une volonté, d’une force et même d’un humour remarquables au cours de sa détention injustifiée. Nous admirons sa ténacité et de celle de sa famille face à une épreuve aussi pénible, écrit la rédactrice en chef du WSJ, Emma Tucker, dans l’édito du jour. Mais leur force d’âme ne change rien au fait que la détention d’Evan est une attaque flagrante contre les droits de la presse libre à un moment où les preuves abondent dans le monde entier du rôle vital que joue un journalisme de qualité dans la compréhension des événements mondiaux par notre société et en tant que témoin de l’histoire.»
La famille du journaliste, très mobilisée, a adressé de son côté une lettre pleine d’émotion aux lecteurs du journal. «Cette année a été inimaginable pour notre famille à bien des égards. Nous avons eu l’impression de retenir notre souffle. Nous avons vécu avec une douleur constante dans le cœur en pensant à Evan à chaque instant», écrivent depuis New York Ella Milman et Mikhaïl Gershkovich, en remerciant «tous ceux qui se battent continuellement pour Evan et qui continuent à le garder dans leurs pensées et leurs prières».