La Chine, les Etats-Unis, la Turquie et l’Union européenne : tous cherchent, ces derniers mois, à renforcer leurs liens avec les ex-républiques soviétiques d’Asie centrale, longtemps pré-carré de Moscou. Le président français Emmanuel Macron, qui se rend mercredi 1er et jeudi 2 novembre au Kazakhstan et en Ouzbékistan, ne fait pas exception. Dans ses bagages, les ministres de l’Industrie et du Commerce extérieur, mais également une délégation d’une quinzaine de chefs d’entreprise des secteurs de l’énergie, de l’extraction minière, du transport ou encore de l’agroalimentaire. Le but affiché : renforcer le partenariat économique avec le Kazakhstan, développer celui avec l’Ouzbékistan, «diversifier» leurs liens stratégiques et économiques tout en renforçant la présence de l’Europe dans la région. Et signer des contrats, a promis l’Elysée.
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Intérêt des grandes puissances
Les vastes réserves de pétrole, de gaz et de minerais d’Asie centrale placent aujourd’hui la région au centre d’une lutte d’influence. «L’intérêt des grandes puissances pour l’Asie centrale, et plus singulièrement pour le Kazakhstan, est de plus en plus affirmé», insiste Michaël Levystone, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
Et si Moscou reste un partenaire économique et militaire incontournable des républiques d’Asie centrale, sa perte d’influence est notable depuis le début de la guerre en Ukraine. Ce qui n’a pas échappé à la Turquie, qui se rêve en hub énergétique régional – Recep Tayyip Erdogan est d’ailleurs attendu dès vendredi au Kazakhstan. Ni à la Chine voisine : les Présidents que Macron s’apprête à rencontrer étaient mi-octobre à Pékin, pour le Forum des Nouvelles routes de la soie, projet phare de Xi Jinping qui vise à créer des réseaux d’infrastructures et d’énergie pour relier l’Asie à l’Afrique et à l’Europe.
L’Union européenne, elle, s’efforce d’établir un axe commercial et énergétique avec la région, en passant par le Caucase jusqu’en Europe, en contournant la Russie. Le 23 octobre, les ministres des Affaires étrangères du Kazakhstan, du Kirghizstan, du Tadjikistan, du Turkménistan et de l’Ouzbékistan ont rencontré pour la première fois les ministres des Affaires étrangères des Vingt-Sept. Quant aux Etats-Unis, ils avaient envoyé leur chef de la diplomatie Antony Blinken en tournée dans la région en mars dernier. En septembre, le président Joe Biden avait rencontré ses dirigeants, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies.
«Nouveau rideau de fer»
Le Kazakhstan, seul pays d’Asie centrale pour lequel la Russie n’est pas le premier partenaire commercial, mais l’Union européenne, entretient une position ambiguë avec son voisin russe, allié historique devenu embarrassant sur la scène internationale depuis l’invasion de l’Ukraine. «S’il y a un nouveau rideau de fer, nous ne voulons pas être placés derrière», avait résumé l’an dernier le ministre des Affaires étrangères du pays. Même s’ils se sont abstenus à l’ONU et cultivent leur neutralité dans le jeu diplomatique, Ouzbékistan et Kazakhstan «sont les deux seuls pays d’Asie centrale qui ont pris des positions, sur le plan politique, assez critiques vis-à-vis de ce que fait la Russie en Ukraine», rappelle Michaël Levystone.
En représailles, la Russie a d’ailleurs suspendu à plusieurs reprises le Caspian pipeline consortium (CPC), l’oléoduc qui achemine la quasi-totalité des exportations de pétrole du Kazakhstan de la mer Caspienne jusqu’au port russe de Novorossiysk, mettant le pays «dans une situation extrêmement délicate sur le plan économique», ajoute Levystone, et le poussant à chercher à diversifier ses routes d’exportation.
Et si, officiellement, Astana s’oppose au contournement des sanctions imposées par les Occidentaux sur la Russie, le pays fait partie de l’Union économique eurasiatique, un marché commun qui regroupe notamment la Biélorussie et la Russie. «Concrètement, comment contrôler ce qui se passe à la frontière russo-kazakhstanaise, quand il n’y a pas de frontière sur le plan douanier?, interroge l’expert de l’Ifri. Le président Kassym-Jomart Tokaïev est dans une position un peu bâtarde. Il doit faire bonne figure au sein de l’Union économique eurasiatique et ne pas provoquer le chantage pétrolier de Moscou, mais en même temps, il ne peut pas aller à l’encontre de ses propres intérêts économiques ni se fâcher avec les Européens et les Américains.»
«Un désir de France au Kazakhstan»
Le président kazakh et son homologue ouzbek Shavkat Mirziyoyev, s’étaient rendus à Paris pour une visite officielle en novembre 2022. La France est le cinquième investisseur étranger au Kazakhstan, devant la Chine, et voit des «chiffres en forte croissance, à la fois sur le commerce et sur les investissements» en Ouzbékistan, selon l’Elysée. Outre des objectifs dans le secteur agro-alimentaire, et les métaux critiques nécessaires à la transition énergétique, Emmanuel Macron arrive ce mercredi à Astana avec un agenda très tourné vers la sécurité énergétique, en particulier nucléaire.
La société d’ingénierie Assystem, spécialiste de la construction de réacteurs, EDF, et Orano (ex-Areva) seront en effet du voyage présidentiel. Cette dernière exploite déjà une mine au Kazakhstan en partenariat avec une entreprise locale, quand l’Ouzbékistan teste un projet pilote d’extraction d’uranium. «La question de l’approfondissement des relations sera à l’ordre du jour», a pudiquement précisé l’Elysée. Outre le deuxième fournisseur de pétrole de la France, le Kazakhstan est son troisième fournisseur d’uranium – et le premier producteur mondial, via sa holding Kazatomprom. Paris est également sur les rangs pour construire la première centrale nucléaire du pays, dont l’existence doit être soumise au référendum d’ici la fin de l’année.
Astana «est un partenaire stratégique à bien des égards pour la France, et a vocation à le devenir davantage au regard de la situation géopolitique et la déstabilisation du Niger», remarque Michaël Levystone, en référence au coup d’Etat militaire du 26 juillet qui a renversé le président Mohamed Bazoum et chassé les soldats français du pays. «Il y a un désir de France au Kazakhstan qu’il n’y a plus au Niger : nous n’y avons même plus d’ambassadeur», insiste-t-il. En septembre, Orano avait d’ailleurs dû suspendre une partie de ses activités dans le pays, longtemps l’un de ses principaux fournisseurs, les sanctions internationales contre la junte militaire entravant sa logistique.
Les droits humains sous le tapis
Les deux républiques d’Asie centrale, tenues par des régimes ne souffrant aucune contestation, ont connu, en 2022, des émeutes brutalement réprimées : 238 morts au Kazakhstan, en janvier ; 21 morts en Ouzbékistan en juillet. Mais la visite d’Emmanuel Macron, principalement économique, ne devrait pas s’appesantir sur les questions du respect des droits. Lors d’un briefing la semaine dernière, l’Elysée a dit souhaiter le «renforcement de l’Etat de droit» mais insisté sur la «très nette différence» entre «l’Ouzbékistan d’aujourd’hui et celui d’Islam Karimov, en 2016» : «Il y a une dynamique de réformes, une ouverture aussi au monde.»
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Dans une lettre adressée à Emmanuel Macron en amont de sa visite, l’International Partnership for Human Rights (IPHR) a déploré la «situation des droits humains dans les deux pays», qui «demeure non seulement grave, mais [...] s’est encore détériorée récemment». L’ONG, basée à Bruxelles, exhorte le président français à «saisir cette occasion pour rappeler aux dirigeants du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan [...] que la France et l’Union européenne accordent une attention particulière au respect par leurs gouvernements des normes internationales en matière de droits humains et qu’elles attendent des progrès concrets dans ce domaine comme condition d’un renforcement supplémentaire des partenariats et de la coopération dans différents domaines.»