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Réunion de l’OSCE à Malte : grosse tension entre Sergueï Lavrov et ses homologues ukrainien, polonais et américain

La présence du ministre russe des Affaires étrangères à Malte pour une réunion de l’OSCE, ses premiers pas dans l’Union européenne depuis l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, a entraîné des échanges assez violents avec l’Ukrainien Andriï Sybiga, le Polonais Radoslaw Sikorski et l’Américain Antony Blinken.
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, participe au 31e de l'(OSCE à Ta'Qali, à Malte, ce jeudi 5 décembre. (Florion Goga/REUTERS)
publié le 5 décembre 2024 à 12h07

La rencontre était inédite depuis le début de la guerre en Ukraine et s’est vite transformée en un échange d’accusations violentes. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, était arrivé ce jeudi 5 décembre à Malte pour sa première visite dans un pays de l’Union européenne depuis l’invasion par son pays de l’Ukraine en février 2022. Il venait assister à une réunion de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à Ta’Qali. Son homologue ukrainien AndrïI Sybiga était également présent, tout comme le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken. Ce dernier n’avait pas prévu de rencontrer Lavrov – sa dernière rencontre importante avec lui remonte à mars 2023, lors du G20 à New Delhi. Et aucune rencontre n’était également au programme officiel avec la délégation ukrainienne.

«Je ne vais pas écouter ces mensonges»

Pourtant, les hommes se sont croisés et se sont affrontés violemment à coups de déclarations enflammées. A peine arrivé sur l’île de Malte, le chef de la diplomatie ukrainienne a ainsi qualifié son homologue russe de «criminel de guerre». «L’Ukraine continue de lutter pour son droit à exister. Et le criminel de guerre russe présent à cette table doit le savoir : l’Ukraine gagnera ce droit et la justice prévaudra», a-t-il déclaré. La Russie «ment» quand elle parle de paix et elle représente «la plus importante menace» pour la sécurité en Europe, a-t-il par ailleurs ajouté. De leur côté, les chefs des diplomaties polonaise et lettone ont quitté la salle lorsque Sergueï Lavrov a pris la parole pour accuser les Occidentaux d’instrumentaliser et de marginaliser l’OSCE, suivis par une demi-douzaine de leurs collègues. «M. Lavrov vient ici pour mentir sur l’invasion russe et sur ce que fait la Russie en Ukraine. Et je ne vais pas écouter ces mensonges. Je ne vais pas m’asseoir à la même table que M. Lavrov», s’est justifié le ministre polonais Radoslaw Sikorski, qui a prôné la suspension de la Russie au sein de l’OSCE tant qu’elle continuera sa «guerre brutale» contre l’Ukraine. La Pologne est l’un des plus solides soutiens de l’Ukraine.

Le ministre russe a alors répliqué en accusant les Etats-Unis, dont le secrétaire d’Etat Antony Blinken était présent, de «déstabiliser le continent eurasiatique», n’hésitant pas à menacer que la nouvelle «guerre froide» devienne «chaude», avant d’alerter sur le fait que les pays occidentaux ne prêtent pas attention «aux mises en garde» du président russe Vladimir Poutine. «Je regrette que notre collègue M. Lavrov ait quitté la salle, ne me donnant pas la courtoisie de nous écouter comme nous l’avons écouté. Et bien sûr, notre collègue russe est très doué pour noyer les auditeurs sous un tsunami de désinformation», a répliqué Antony Blinken. «Ne lui permettons pas, ni à quiconque, de nous tromper. Il ne s’agit pas et il n’a jamais été question de la sécurité de la Russie», a ajouté le chef de la diplomatie américaine, qui effectuait là l’un de ses derniers voyages officiels avant l’inauguration en janvier de l’administration Trump. «Il s’agit du projet impérial de Vladimir Poutine de rayer l’Ukraine de la carte», a-t-il estimé.

La dernière visite en Europe de Sergueï Lavrov, sanctionné par l’UE, date de décembre 2021, où il s’était rendu à Stockholm, pour une autre réunion de l’OSCE, selon les médias russes. En 2022, la Pologne, alliée de l’Ukraine et alors hôte de l’OSCE, avait refusé d’autoriser Lavrov à participer au sommet.

L’élection de Trump a changé la donne

Un porte-parole de Malte, pays hôte du sommet, a déclaré que si Sergueï Lavrov faisait bien l’objet d’un gel de ses avoirs de la part de l’UE, il n’était pas interdit de voyager et qu’il avait été invité afin de «maintenir certains canaux de communication ouverts». L’élection en novembre de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, et alors que sa prise de fonction aura lieu le 20 janvier prochain, a visiblement changé la donne sur le plan diplomatique. Le président élu, qui n’a jamais caché admirer Vladimir Poutine, s’était vanté plusieurs fois au cours de sa campagne électorale d’être en capacité de mettre fin au conflit très rapidement après son élection. Il avait aussi critiqué à plusieurs reprises le montant de l’aide financière et militaire des Etats-Unis, qui est le plus gros soutien de l’Ukraine. Sa stratégie reste un mystère et chacun semble placer ses pions dans l’attente de la suite des événements.

Sur le front ukrainien, la situation est de plus en plus tendue, alors que l’hiver s’installe et que Moscou vise systématiquement les installations énergétiques du pays, pour couper chauffage et électricité. Par ailleurs, les troupes russes ont opéré des avancées dans le Donbass, alors qu’à Koursk en Russie, où les troupes ukrainiennes ont fait irruption, la situation semble bloquée. Après bientôt trois ans de guerre, sans véritable succès d’un côté comme de l’autre, une certaine lassitude semble s’installer. Ces derniers jours, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a, à plusieurs reprises, évoqué des possibilités de négociations de paix, «si les conditions sont réunies». Dimanche 1er décembre, lors d’une visite à Kyiv d’António Costa, nouveau président du Conseil européen et Kaja Kallas, ancienne Première ministre estonienne désormais cheffe de la diplomatie européenne, le président ukrainien a insisté sur le fait qu’une «invitation à l’Ukraine à rejoindre l’OTAN» était une condition indispensable à l’ouverture de négociations.

Un veto russe sur plusieurs décisions majeures

L’organisation de l’OSCE, fondée en 1975 pour apaiser les tensions entre l’Est et l’Ouest pendant la guerre froide, compte 57 membres, de la Turquie à la Mongolie, en passant par le Royaume-Uni et le Canada, ainsi que les Etats-Unis, l’Ukraine et la Russie. En 2023, l’Ukraine avait demandé, en vain, à ce que la Russie soit exclue de l’organisation et avait boycotté en novembre le sommet de Skopje en raison de la présence de Lavrov. L’organisation est paralysée depuis l’invasion de l’Ukraine début 2022, la Russie ayant mis son veto à plusieurs décisions majeures, qui nécessitent un consensus.

Les postes de secrétaire général et de trois autres hauts fonctionnaires sont vacants depuis septembre, faute d’accord sur leurs successeurs. La secrétaire générale sortante, l’Allemande Helga Maria Schmid, avait été nommée en décembre 2020 pour un mandat de trois ans, mais son mandat avait été prolongé jusqu’en septembre. Les ambassadeurs se sont mis d’accord sur le diplomate turc Feridun Sinirlioglu pour lui succéder, a indiqué une source diplomatique à l’AFP, mais la décision doit être approuvée par les ministres réunis à Malte. Ces derniers devront également se mettre d’accord sur le pays qui présidera l’OSCE en 2026 et 2027. La Russie a empêché l’Estonie, membre de l’Otan, d’assurer la présidence cette année, alors qu’en 2025, c’est la Finlande, qui a rejoint l’Otan l’année dernière, qui en assurera la présidence.

L’OSCE envoie des observateurs lors de conflits et d’élections dans le monde entier. Elle gère également des programmes visant à lutter contre la traite des êtres humains et à garantir la liberté des médias.

Mis à jour le 05/12/2024 à 18 h 00 avec propos de Lavrov et Blinken.