Dans le grand Nord de l’Europe, les Samis sont sous pression. Ce peuple autochtone de Laponie, qui vit de l’élevage de rennes, doit faire face à de multiples problèmes. Son territoire, à cheval sur la Norvège, la Suède, la Finlande et la Russie, est à la fois fragilisé par le réchauffement de la planète et convoité par divers projets, notamment de l’industrie minière. Les Samis craignent une dégradation de leur mode de vie traditionnel et de l’environnement dont ils sont très dépendants. Cela n’a pas empêché le gouvernement suédois de donner mardi son feu vert à un projet d’exploitation de gisement de fer dans le nord du pays.
Une victoire pour la compagnie Jokkmokk Iron Mines, filiale du groupe britannique Beowulf, qui demandait un permis depuis 2013. Cependant, elle doit encore obtenir l’approbation d’une instance juridique environnementale. La mise en service de la mine est prévue dans la région de Gallok, près de la ville subarctique de Jokkmokk, haut lieu de l’élevage du renne, l’une des principales activités économiques des Samis.
Il y aura des «conditions très strictes et spécifiques», a assuré le ministre suédois de l’Industrie, Karl-Petter Thorwaldsson, évoquant des conditions «nombreuses et exhaustives» et précisant qu’habituellement les permis d’exploitation de mines étaient accordés sans conditions. Cette fois-ci, le gouvernement exige une surface d’exploitation la plus retreinte possible, la construction du site à des périodes ayant un impact réduit sur l’élevage de rennes et une indemnisation pour les éleveurs affectés.
«Faire la guerre à la nature»
Les autochtones ne sont pas convaincus. Mikael Kuhmunen, responsable d’une communauté samie, a indiqué mardi à l’agence de presse suédoise TT être «choqué» et «déçu» par la décision du gouvernement. Les Samis, dont la population totale est estimée à 100 000 personnes dont 20 000 à 40 000 en Suède, s’opposent au projet notamment parce qu’il empêcherait l’élevage des rennes, perturberait la chasse et la pêche et dénaturerait l’environnement local. Des bouleversements qui s’aouteraient à la menace climatique qui pèse sur leur territoire : situé dans le cercle polaire arctique, il se réchauffe trois fois plus vite que le reste de la planète.
«La Suède a confirmé aujourd’hui son approche à courte vue, raciste, coloniale et hostile à la nature», a tweeté la militante écologiste Greta Thunberg, qui avait manifesté début février avec des représentants samis contre ce projet. «La Suède prétend être un leader en matière d’environnement et de droits humains mais, chez elle, elle viole les droits des populations indigènes et continue à faire la guerre à la nature», a-t-elle ajouté.
Sweden today confirmed its shortsighted, racist, colonial and nature-hostile approach. Sweden pretends to be a leader for environment and human rights, but at home they violate indigenous rights and continue waging a war on nature. The world will remember this.#StandWithSápmi https://t.co/r1grDdqcEm
— Greta Thunberg (@GretaThunberg) March 22, 2022
Deux experts indépendants, nommés par l’ONU, mais qui ne s’expriment pas en son nom, avaient appelé en février le gouvernement suédois à refuser ce projet de mine à ciel ouvert, présentant «des risques irréversibles» pour le territoire des Samis.
Selon Jose Francisco Cali Tzay et David Boyd, spécialisés dans les droits des populations indigènes et l’environnement, l’exploitation de la mine générerait de grandes quantités de poussière contenant des métaux lourds et des déchets toxiques, qui affecteraient l’environnement et l’eau de source. Le transport quotidien du minerai par rail et par la route couperait les itinéraires habituels des grandes migrations des rennes.
D’autres projets contestés
En Suède, les Samis ont aussi échappé (pour le moment) à une expérimentation de géo-ingénierie solaire, une technologie risquée de modification du climat en juin 2021. Une équipe de chercheurs américains prévoyait d’envoyer une petite quantité de poussière de carbonate de calcium dans l’atmosphère au-dessus de la Laponie suédoise pour réfléchir les rayons du soleil et ainsi faire baisser la température sur Terre. Les Samis n’avaient pas été consultés, ce qui a causé un report de ce projet nommé SCoPEx (pour «Stratospheric Controlled Perturbation Experiment»).
Les projets miniers donnent aussi du fil à retordre aux Samis en Finlande, nation qui ambitionne de devenir un leader des batteries électriques. Deux permis de prospection ont été accordés dans la toundra près du village d’Enontekiö, contrée réputée pour ses paysages époustouflants et supposée receler d’importantes ressources minérales.
En Norvège, le peuple s’oppose à l’implantation d’éoliennes sur ses terres ancestrales et réclame un droit de veto. Or plusieurs fermes éoliennes ont déjà vu le jour et d’autres sont en construction ou dans les cartons. Dans un jugement retentissant, la Cour suprême norvégienne a cependant conclu en octobre que deux fermes éoliennes érigées dans la péninsule de Fosen bafouaient le droit de six familles samies à pratiquer leur culture, en violation d’un texte de l’ONU, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Une première victoire.