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Libération
Pots-de-vin

Tempête politique en Espagne après la démission forcée du numéro 3 du Parti socialiste

Fragilisé par la mise en cause d’un proche dans une affaire de pots-de-vin, le Premier ministre Pedro Sánchez a présenté des excuses mais exclut de nouvelles élections.
Le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, le 12 juin à Madrid. (Oscar Del Pozo/AFP)
publié le 12 juin 2025 à 19h44

La situation du Premier ministre espagnol, le socialiste Pedro Sánchez, apparaît de plus en plus précaire. Déjà déstabilisé par des enquêtes judiciaires concernant son entourage, il fait face depuis ce jeudi 12 juin à un scandale potentiellement plus dévastateur. Le numéro 3 du Parti socialiste espagnol (PSOE), le député Santos Cerdán, a annoncé dans l’après-midi démissionner de tous ses postes, quelques heures après la révélation d’enregistrements où il semble évoquer, en privé, le versement de pots-de-vin à lui-même et à des personnalités de son camp.

Dans une conférence de presse tenue dans la foulée, Pedro Sánchez a désavoué son ex-proche collaborateur et demandé pardon aux Espagnols pour cette affaire dont il ne savait «absolument rien». «Jamais nous n’aurions dû lui faire confiance, jusqu’à aujourd’hui j’étais convaincu de son intégrité», a plaidé le chef du gouvernement, sans attendre que la justice se prononce. Il a cependant exclu la convocation d’élections anticipées, comme l’exige l’opposition de droite du Partido Popular (PP) et l’extrême droite de Vox.

«Attribution indue d’un contrat public»

Le désormais ex-élu de Navarre, 56 ans, a assuré pour sa part n’avoir «rien commis d’illégal» et expliqué son retrait par sa volonté de «défendre le Parti socialiste auquel ce pays doit tant» et «défendre ce gouvernement».

Jeudi matin, un juge de la Cour suprême a confirmé une information rapportée dès mercredi soir dans les principaux médias : un rapport de la garde civile (équivalent de la gendarmerie) révèle «l’existence d’indices concordants concernant la possible participation» de Santos Cerdán «dans l’attribution indue d’un contrat public», pour laquelle il aurait touché de l’argent.

Ces indices proviennent d’une série de conversations téléphoniques, captées clandestinement, avec l’ex-ministre socialiste José Luis Abalos, et l’éminence grise de ce dernier, le trouble homme d’affaires Koldo García. C’est ce dernier qui a enregistré les échanges, à l’insu des deux autres. Leur révélation est un nouveau rebondissement dans une enquête qui visait déjà Abalos et García, et qui porte sur un dossier annexe : le versement de commissions, là encore illégales, pour des achats de matériel sanitaire pendant la crise du Covid-19.

La crainte (justifiée) d’être espionné

Reproduits par la presse, les propos tenus au fil de dizaines de conversations sont en effet sans ambiguïté. Entre 2019 et 2023, les trois interlocuteurs ont parlé de sommes occultes liées à des contrats de travaux publics dans diverses régions, pour un total de 620 000 euros déjà versés par les entreprises bénéficiaires. Et de 450 000 euros supplémentaires restant à percevoir. A plusieurs reprises, Santos se fâche contre Koldo García, lui reprochant d’en dire trop au téléphone. Sans doute par une crainte, rétrospectivement justifiée, d’être espionné.

Par sa démission, Santos Cerdán renonce à son immunité parlementaire et se rendra à la convocation du juge. «J’espère ainsi pouvoir me consacrer exclusivement à ma défense, a-t-il affirmé dans un communiqué, et fournir toutes les explications nécessaires pour démontrer, comme je le dis depuis plusieurs jours, que je n’ai jamais rien commis d’illégal, et ne suis complice de rien.»

L’ampleur de l’affaire rend dérisoires les autres poursuites de la justice espagnole contre des proches du Premier ministre. Son épouse Begoña Gómez est soupçonnée de trafic d’influence en faveur d’une compagnie aérienne dont elle était conseillère rémunérée. Air Europa a en effet bénéficié d’un plan de sauvetage post-pandémie, mais la défense nie tout conflit d’intérêts et fait valoir que des subventions comparables ont été versées à l‘ensemble des compagnies de transport.

De son côté, David Sánchez, musicien et frère du chef du gouvernement, est devenu en 2017 responsable du spectacle vivant dans la province de Badajoz, dirigée par les socialistes. Les juges enquêtent pour savoir si ce choix relevait du népotisme.

Prochaines élections en 2027… ou avant

Enfin, une autre affaire délicate implique le procureur général de l’Etat, plus haut responsable du ministère public, nommé par le gouvernement. Cas unique dans l’Espagne démocratique, Alvaro García Ortiz sera bientôt renvoyé devant un tribunal, accusé d’atteinte au secret de l’instruction. Il avait rendu publiques des informations sur la fraude fiscale présumée du compagnon d’Isabel Díaz Ayuso, l’ombrageuse présidente de la région de Madrid et figure montante du PP, féroce ennemie des socialistes à qui on augure un avenir de «Giorgia Meloni espagnole».

Le calendrier électoral fixe à 2027 les prochaines élections législatives, mais aujourd’hui, peu d’observateurs pensent que le résilient Pedro Sánchez, en poste depuis exactement sept ans, pourra tenir deux ans supplémentaires à la Moncloa, le Matignon madrilène.