«Les tests décisifs sont désormais achevés», a lancé le président russe Vladimir Poutine, dans une vidéo diffusée par le Kremlin dimanche soir, lors d’une réunion avec des responsables militaires, en ordonnant de commencer à «préparer les infrastructures pour mettre en service cet armement dans les forces armées». «C’est une création unique que personne d’autre au monde ne possède», a assuré le maître du Kremlin, selon lequel le Bourevestnik («oiseau de tempête» en russe) a une «portée illimitée». Lors du dernier essai le 21 octobre, le missile a passé dans l’air «environ quinze heures», survolant 14 000 km (deux fois la distance entre Moscou et Washington), a précisé le chef de l’état-major russe, Valeri Guerassimov.
Comment ça marche ?
Contrairement aux missiles classiques exclusivement propulsés par des carburants chimiques, le missile Bourevestnik utilise un réacteur nucléaire. «L’air ambiant y est chauffé par le cœur du réacteur, puis expulsé à grande vitesse pour générer la poussée», estime Amaury Dufay, chercheur au centre IESD à Lyon et spécialiste de la propulsion nucléaire. «Cela permet d’allonger considérablement le temps de vol et la portée, explique-t-il à l’AFP. C’est un peu comme si vous aviez un moteur de voiture qui consomme beaucoup moins de litres aux 100 km.»
«Son objectif est de voler longtemps, très bas, entre 15 et 200 mètres, ce qui complique la détection», d’après Amaury Dufay. Qui imagine possible de le faire «décoller de Russie, avant un détour par l’Amérique du Sud pour attaquer l’Amérique du Nord par le Sud, par des côtés qui pourraient être moins défendus par les défenses antimissiles américaines.» En revanche, il est relativement lent, à une vitesse subsonique (inférieure à Mach 1, moins de 1 235 km/h), et «a priori sa capacité de manœuvre et d’évitement est limitée par sa lenteur», estime Héloïse Fayet, spécialiste du nucléaire au centre de réflexion français Ifri.
A quoi ça sert ?
Cette arme tente de fournir une réponse au renforcement des systèmes de défense antimissile des rivaux de la Russie. «Le Golden Dome américain et les projets de développement de défense antimissile en général sont parmi les principaux moteurs» du projet, explique sur X l’analyste russe spécialiste des questions nucléaires Dmitry Stefanovich. «Le missile a entièrement été conçu dans l’idée de contourner [ces] défenses», abonde Amaury Dufay. «On peut très bien l’imaginer, avec sa capacité de manœuvre et sa portée illimitée, en train de harceler et d’affaiblir les défenses antimissiles, puis repartir pour laisser la place à d’autres missiles» classiques, complète Héloïse Fayet.
Qu’est-ce que ça change ?
A l’heure actuelle, l’impact stratégique reste pourtant limité. «Le missile n’est pas opérationnel, il n’y a pour l’instant aucune infrastructure de déploiement dans les forces, pas de doctrine d’emploi», souligne Héloïse Fayet. Vladimir Poutine a lui-même déclaré que la Russie devait encore «déterminer [ses] possibilités d’application» et «commencer à préparer l’infrastructure nécessaire» à son usage. «Il faut voir cela comme une tentative de Poutine de continuer d’épuiser Trump sur le nucléaire et la défense antimissile. C’est dans son intérêt de le persuader qu’il a absolument besoin d’un Golden Dome, mobilisant de nombreuses ressources», selon la spécialiste du nucléaire.
En effet, ni les Etats-Unis, ni, encore moins, l’Europe, n’ont à ce jour de «bouclier antimissile permettant d’intercepter une attaque massive de missiles balistiques et de croisière», explique sur X Etienne Marcuz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique. «C’est donc une arme de déstabilisation qui pèse dans le domaine de la défense antimissiles, qui montre que les Russes sont toujours capables d’innovation et qu’ils ne se préoccupent pas trop de sûreté», résume Héloïse Fayet.
Quels risques radioactifs ?
S’il touche une cible ou est intercepté, qu’il porte une charge nucléaire ou conventionnelle, la contamination est inévitable. Il semble en revanche que le test n’ait pas provoqué de contamination détectable. «L’agence norvégienne de surveillance de la radioactivité n’a rien détecté alors que le test est passé dans sa zone de détection. De même, les stations du traité d’interdiction des essais nucléaires n’ont rien détecté non plus. Donc a priori, le missile en lui-même n’a pas de dimension radioactive», explique Héloïse Fayet.
Pour autant, nuance la chercheuse, puisque «l’air passe dans le réacteur nucléaire, il semble inévitable qu’il y ait quand même quelques rejets». «Par ailleurs, le missile lui-même est radioactif, une fois que le réacteur est lancé. Si vous vous en approchez trop, vous êtes irradié, cela veut dire qu’il est difficile à employer, que vous n’allez pas beaucoup pouvoir le tester. Or, dans la dissuasion nucléaire, ce qui compte, c’est le signalement, la crédibilité, qui passe par des tests.»
Quelles réactions ?
L’annonce a alimenté la chronique de la relation extrêmement fluctuante entre la Russie et les Etats-Unis. «C’est inapproprié de la part de Poutine de dire cela, a réagi Donald Trump dès le lendemain. Il devrait mettre fin à la guerre en Ukraine. Cette guerre qui devait durer une semaine entrera bientôt dans sa quatrième année. Voilà ce qu’il devrait faire plutôt que de tester des missiles», a-t-il poursuivi lors d’un échange avec les journalistes à bord de l’avion l’emmenant au Japon, au deuxième jour d’une tournée en Asie.
La rencontre entre les deux hommes, qui devait avoir lieu prochainement à Budapest, n’aura pas lieu, Donald Trump estimant qu’il ne «perdrait pas son temps» à programmer une nouvelle entrevue sans accord en vue pour mettre fin au conflit en Ukraine. Dans le même temps, les Etats-Unis ont annoncé la semaine dernière des sanctions contre deux géants du secteur des hydrocarbures russes, Rosneft et Lukoil, les premières mesures d’importance prises par Donald Trump contre la Russie depuis son retour au pouvoir.