Les cieux sont d’encre, au-dessus de cette petite route mal carrossée qui s’enfonce dans les confins orientaux de la région de Soumy, en direction de la Russie. Le convoi de bus, encadré d’une quinzaine d’ambulances, camionnettes de police et pick-up militaires, avale les bourgades une à une. Dans l’obscurité, les fenêtres des habitations les plus proches réverbèrent la lueur bleue et rouge des gyrophares, alertant les habitants d’un événement sortant de l’ordinaire. A l’approche de la frontière, où plus personne ne s’aventure si ce n’est les soldats, la neige glacée se fait plus épaisse et plus dure. La colonne ralentit et se gare à un élargissement, ressemblant vaguement à une intersection. Le sol crisse sous les pas. Il fait -2°C, pourtant on dirait qu’il fait -20°C. Interdiction absolue de marcher hors du goudron : tout alentour est truffé de mines.
Ici c’est toujours l’Ukraine, mais plus vraiment. Un kilomètre zéro, quelque chose d’indéfinissable. Un non-pays. Deux poteaux électriques dessinés par les phares marquent le début d’un no man’s land que les drones suicides et bombes russes survolent régulièrement pour ensuite se fracasser sur les petites villes de la région de Soumy, pourtant loin des théâtres principaux de la guerre. C’est là, quelque part entre Soumy et Belgorod, que va se dérouler ce jeudi soir un chassé-croisé soigneusement orchestré entre 100 prisonniers de guerre russes, répartis dans quatre autobus, aux fenêtres occultées par des vieux rideaux, et 100