Finalement, il reste ! Charles Michel a effectué un beau virage sur l’aile, vendredi soir, en annonçant, dans un post publié sur sa page Facebook, que, finalement, il occupera son poste de président du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement jusqu’au terme de son deuxième mandat de 2 ans et demi, le 30 novembre prochain. «Afin de préserver la sérénité dans l’accomplissement de ma mission actuelle, je ne serai pas candidat à l’élection européenne, écrit-il. J’assurerai avec une totale détermination ma responsabilité jusqu’à son terme.»
C’est le 6 janvier, il y a trois semaines, que l’ancien Premier ministre belge de 48 ans avait pris par surprise la bulle bruxelloise en révélant qu’il serait tête de liste du MR (Mouvement Réformateur, libéral francophone), le parti qu’il a longtemps dirigé, aux élections européennes de juin. Et qu’il quitterait donc ses fonctions à la mi-juillet, après avoir prêté serment comme député européen. Un cas sans précédent, ses deux prédécesseurs, le Belge Herman Van Rompuy et le Polonais Donald Tusk étant restés en poste jusqu’au bout.
L’explication de ce départ anticipé est purement matérielle : faute d’un point de chute international certain, il risquait de se retrouver en carafe, les prochaines élections européennes, nationales et régionales, couplées en Belgique, n’ayant lieu qu’en 2029. Une traversée du désert qu’il voulait éviter, la tête de liste lui garantissant d’être élu et même d’espérer occuper d’autres fonctions, comme la présidence du Parlement européen.
«Il se tournera les pouces»
Son entourage affirme que les chefs d’État et de gouvernement, avertis en amont, l’avaient assuré de leur soutien, même si certains auraient préféré qu’il reste. Pour Charles Michel, sa décision présentait d’autant moins de problèmes qu’il considère que son mandat se terminera politiquement avec l’élection de son successeur, fin juin, comme il le souligne dans son message. A partir de là, «il se tournera les pouces, tout son crédit étant épuisé», explique l’un de ses proches à Libération.
Mais le président du Conseil européen ne s’attendait pas au tsunami de réactions négatives à l’annonce de sa candidature, notamment dans les médias, ce qui lui a manifestement fait craindre que cela n’ait un impact sur le résultat du MR. «Mon choix, écrit-il, a suscité de vives controverses médiatiques. J’en avais pressenti une partie, vu l’aspect inédit - audacieux, diront certains - de ma démarche. Mais j’ai sous-estimé l’ampleur et la radicalité de certaines réactions négatives – pas au sein du Conseil européen, mais à l’extérieur de celui-ci - à la perspective de me voir participer à la campagne européenne. Et aussi à l’avancement de quelques mois de la fin de mon mandat et de l’entrée en fonction de la personne qui me succédera».
S’il dit accepter «la légitimité de toute critique politique et de tout argument intellectuel», il regrette «que les attaques blessantes prennent de plus en plus le pas sur les arguments factuels et objectifs». «Cela affecte à mon sens l’évolution de la vie démocratique. Sur le plan personnel, cela m’amène à m’interroger sur le sens et l’impact que représente, non seulement pour moi, mais également pour mes proches, un engagement électoral auquel j’ai consacré ma vie depuis trente ans», ajoute le président du Conseil européen.
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Conflit d’intérêts
L’un des problèmes que n’a pas voulu voir Charles Michel est le conflit d’intérêts majeur que sa candidature suscitait, d’autant qu’il n’avait pas prévu de se mettre, durant la campagne, en «congé pour convenance personnelle» (CCP). Autrement dit, il aurait continué à être payé par l’Union (autour de 28 000 euros par mois tout de même) et à bénéficier des moyens du Conseil.
Une position dont il ne démord pas : «J’ai jugé, comme dans toute élection nationale ou locale, que la campagne électorale est compatible avec l’exercice d’un mandat politique qui s’achève. Cela, bien entendu, dans le strict respect d’une distinction nette entre les deux. Les services du Conseil de l’UE ont d’ailleurs estimé en toute indépendance que ceci était parfaitement conforme aux principes légaux et déontologiques, comme la Commission européenne l’a établi pour les membres du Collège».
Il omet toutefois un détail important : c’est lui qui a choisi comme secrétaire générale du Conseil des ministres la directrice générale du service juridique, pulvérisant ainsi l’indépendance dudit service qui ne lui dit que ce qu’il voulait bien entendre…
Dans son entourage, on continue à faire valoir que ce refus de se mettre en CCP est conforme aux usages. Ainsi, les commissaires européens qui seront candidats aux élections du mois de juin pourront rester en poste, à l’image de la présidente allemande Ursula von der Leyen, probable candidate à sa succession. Ou de Didier Reynders, commissaire à la Justice, candidat de la Belgique au siège de secrétaire général du Conseil de l’Europe.
Au Conseil européen, on ajoute que c’est seulement si un commissaire mène une campagne nationale qu’il doit se mettre en congé. Reste que la règle n’est pas si claire puisque Margrethe Vestager, la commissaire à la Concurrence, avait dû se mettre en CCP lorsqu’elle s’était déclarée candidate à la présidence de la Banque européenne d’investissement, poste qui lui a finalement échappé.
Au final, ce départ avorté se termine en sortie de route pour Charles Michel. Cela montre que l’affaire a été mal pensée et mal préparée. Une démission aurait eu du panache et lui aurait sans doute évité les critiques dont il a été l’objet. Là, il a donné prise au soupçon qu’il voulait le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière.