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Le Libé des Ukrainiens

Ukraine : les mille et un visages d’un pays en guerre dans l’œil des photoreporters de Libé

Ils ou elles sont retraités, militaires engagés, chanteurs ou résistants de la première heure. Nos journalistes les ont rencontrés de Kyiv aux Pyrénées-Atlantiques en passant par la Roumanie aux premiers mois de la guerre. Ils se racontent en quelques phrases.

En attente des noms pour la légende (Jedrzej Nowicki/Libération)
Publié le 19/02/2023 à 19h21

Un an après le début de la guerre en Ukraine, Libération donne la parole et la plume aux habitants et aux réfugiés d’un pays meurtris, avec le Libé des Ukrainiens. Retrouvez tous les articles de cette édition ici et le journal en kiosques, lundi 20 février.

Valeria, 40 ans, et sa fille Daryna

«Et au matin, on se réveille avec la guerre…»

«En Ukraine, j’avais un chez-moi, des amis, une vie… La veille de l’invasion, nous menions une vie totalement normale : le soir, on avait bu du champagne avec une amie, et voilà qu’au petit matin, on se réveille avec la guerre. Nous avons vu des roquettes voler près de notre maison. Nous n’avons eu que quelques minutes pour prendre la fuite.»


Andrey Kharlamov, 33 ans

«Je suis prêt à combattre»

«Je suis ténor à l’opéra d’Odessa. Nous sommes une dizaine de l’opéra à avoir rejoint les rangs des volontaires. Moi, je n’ai pas encore reçu d’entraînement militaire, je suis sur la liste d’attente mais je rejoindrai les forces [combattantes] si on a besoin de moi. Evidemment que je suis prêt à combattre.»

Début mars 2022 dans le cadre d’un reportage à Odessa : «Nous devons riposter» : Odessa se prépare à un assaut


Zoya et Boris Kharakhash, 72 et 73 ans, retraités

«On s’est précipités dans notre cave»

«La première frappe a eu lieu le 21 août, elle a touché le mur du voisin. Nous, notre noyer nous a protégés, la grille du jardin a été projetée sur l’arbre mais n’a pas atteint la maison. Quand ça a recommencé, on s’est précipités dans notre cave. Mais en cas d’accident [Nikopol est proche de la centrale de Zaporijia, ndlr], peut-être qu’il faudra qu’on creuse encore plus profond.»

Le 29 août 2022 dans le cadre d’un reportage en face de la centrale nucléaire de Zaporijia : A Nikopol bombardée : «Notre noyer nous a protégés»


Gennadiy Trukhanov, 58 ans, maire d’Odessa

«La ville continuera de fonctionner»

«Moi, j’ai commencé ma carrière dans l’armée, je suis prêt à reprendre les armes. Mais pour l’instant, guerre ou pas, il faut poursuivre l’aide aux 4 000 personnes dans le besoin, personnes âgées ou atteintes de handicaps. La ville continuera de fonctionner. Tant que nous le pourrons, nous garderons tout ouvert.»


Masha, 15 ans, amputée d’une jambe

«Quand je me suis réveillée, tout était sombre…»

«Nous étions dans la rue, près d’une garderie, de la mairie et de centres médicaux. Les bombardements étaient loin, puis ils se sont rapprochés, de plus en plus près. J’ai entendu un bruit très fort et je me suis couchée. Quand je me suis réveillée, tout était sombre et j’avais mal. Un homme nous a aidées, moi et ma mère, qui est soignée dans un autre hôpital de Zaporijia.»

A Zaporijia, 19 mars 2022 Guerre en Ukraine : Zaporijia, une ville au chevet des enfants martyrs


Tatiana Pavlovska, 47 ans

«Trois repas par jour, puis deux»

A Zaporijia, 5 mai 2022. «J’ai passé cinquante-cinq jours dans un bunker d’Azovstal. Au début, on faisait trois repas par jour, puis deux, sauf les enfants et les personnes âgées qui mangeaient aussi le matin. On a toujours essayé de nourrir les enfants.» Tatiana, rescapée d’Azovstal: «On ne savait pas si on allait survivre»


Timur Dzhafarov, 27 ans, musicien devenu soldat

«Routine quotidienne : voir des gens morts»

«Routine quotidienne : se faire réveiller par une sirène, attraper un fusil, courir pour s’abriter. Lire les infos, voir des gens morts. Des civils, dans les rues des villes juste libérées, abattus en masse, les mains attachées dans le dos. Voir le corps de quatre ou cinq femmes nues qui ont été violées puis brûlées, mais leurs corps ne se sont pas consumés complètement.»


Vitaly, 37 ans, volontaire du collectif Switch

«Une pluie de missiles autour de nous»

«On livre de la nourriture et des médicaments aux habitants des zones les plus touchées, mais il ne faut pas traîner. Quinze fois – j’ai compté –, on s’est retrouvés sous le feu. Un jour, une pluie de missiles Grad s’est abattue autour de nous. Dans les quartiers où on va, les Russes pilonnent. Même un cimetière a été ciblé.»


Serhiy, Bodhan et Denis

«Tout mélanger dans la tête»

Natalia, la mère des trois enfants : «Bien sûr, je pense à rentrer mais la décision est difficile à prendre. En plus, avec les heures de cours supplémentaires, tous les soirs en vidéoconférence, organisés avec le ministère ukrainien de l’Education, j’ai peur que ça soit dur pour Denis. J’espère que ça ne va pas tout mélanger dans sa tête.»


Denys, sous-commandant d’un navire ukrainien

«Ne pas laisser la politique se dresser entre nous»

«La moitié de l’équipage est ukrainienne, comme moi. L’autre moitié est russe. Ça ne pose de problème à personne, nous sommes des gens de mer avant tout. Il ne faut pas laisser la politique se dresser entre nous. De toute façon, tant que la guerre n’est pas finie, nous sommes condamnés à vivre ensemble sur ce bateau.»


Margarita, 35 ans, réfugiée en Roumanie

«On reste coincés ici»

Constanta (Roumanie), 11 avril 2022. «On nous a très bien reçus, ­surtout dans cet hôtel, mais on reste coincés ici. En Ukraine, je faisais des affaires, mais en Roumanie, je tourne en rond. Je n’ai pas les fonds pour lancer un autre business.» Réfugiés ukrainiens : en Roumanie, «on reste coincés dans cet hôtel»


Natalia Ivanova et Lidia Raznumnaya, 63 et 65 ans

«Poutine, c’est Hitler»

Natalia : «Ce qui nous a beaucoup aidées, c’est qu’on partageait tout ce qu’on avait, des conserves et des stocks de nourriture.» Lidia : «Je viens d’un village complètement russophone, tout le monde a des proches en Russie. Avant la guerre, je regardais la télévision russe. Plus jamais. Poutine, c’est Hitler.»


Nikolaï, 27 ans

«Un commandant a dit : “Tuez-le”»

«Quand ils sont arrivés dans mon village, les Russes sont tombés sur moi, le premier homme qu’ils ont trouvé. Ils m’ont ordonné d’enlever mon pantalon et de descendre dans un trou. Ils ont braqué un fusil et dégoupillé une grenade, qu’ils menaçaient de lâcher. Un commandant est arrivé et leur a dit : “Tuez-le.” Puis un autre a dit non.»


Yaroslav, 42 ans, soldat

«Poutine et ses troupes ? Des alcooliques»

«Poutine et ses troupes sont des alcooliques, qui utilisent l’artillerie longue par lâcheté. Si les Russes ont relocalisé des forces tout le long de la ligne de front du Donbass, c’est qu’ils cherchent des points faibles. Mais ce qu’ils trouvent, c’est nous qui leur mettons des coups dans les dents.»


Tatiana Cravchenka, 20 ans, volontaire préparant des repas

«Comme un miracle, tout le monde s’est uni»

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A Mykolaïv, le 29 avril 2022. «Nous préparons plus de 500 repas par jour pour les soldats, les hôpitaux, les personnes blessées, les gardes aux check-points. J’aurais pu partir, mais je ne voulais pas, car on a besoin de moi ici. C’est comme un miracle, tout le monde s’est uni comme si nous étions un seul organisme. On travaille ensemble, on se soutient.» «Les enfants et les cadavres bousillés, c’est difficile à voir»


Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, 38 ans, cinéaste

«Les gens ne se rendent pas compte»

«J’ai hélas trop souvent l’impression que les gens ne se rendent pas compte de ce que traversent les Ukrainiens, dans quelles conditions toute cette guerre se passe… Je trouve très bizarre qu’on n’ait pas coupé les ponts de manière plus nette encore avec la Russie. Je ne comprends pas comment on peut tolérer le moindre porteur de passeport russe.»


Otoy, 24 ans, rappeur

«Ennemis jusqu’à la fin de nos jours»

Kyiv, 25 mai 2022. «Quand la guerre a commencé, j’ai acheté une arme et je suis devenu volontaire au sein de l’armée. J’ai vu beaucoup de soldats morts, mais ça ne me fait rien. Pour les civils, c’est plus difficile. Quand j’étais plus jeune, la Russie nous faisait croire que nous étions des amis, des frères. Mais nous serons ennemis jusqu’à la fin de nos jours.»


Olga Pogribna, 53 ans, peintre

«C’est impossible de ne rien faire»

Odessa, 8 mars 2022. «Je fabrique des cocktails Molotov le matin et des pancartes l’après-midi. Je ne voulais pas m’impliquer dans la guerre, mais j’y ai été forcée : c’est impossible de ne rien faire. Nous sommes attaqués, nous devons riposter. Bien sûr, je pourrais fuir, mais il y a un proverbe slave qui dit : “Celui qui est né pour être pendu ne mourra pas noyé.”»


Sana Shahmuradova, 26 ans, peintre

«J’avais peur de rester, j’avais peur de partir»

Kyiv, 3 mars 2022. «J’avais peur de rester en Ukraine, j’avais peur de partir. Je savais qu’aucune des deux solutions n’était la bonne, aucune n’était sûre. J’ai décidé de rester. J’ai demandé à ma grand-mère : “On va s’enfuir ?” Elle a répondu : “Il n’y a rien à fuir. Nous sommes sur notre terre.”»


Akhtem Seitablayev, 50 ans, acteur et réalisateur

«La fiction était encore une fois en avance»

«J’avais prévu de réaliser une comédie avant que la guerre éclate. J’ai relu le scénario il y a quelques jours, il y a une scène où des gitans volent un char. Exactement comme ces vidéos de villageois ukrainiens qui tractent des blindés russes abandonnés au bord de la route. La fiction était encore une fois en avance.»


Daria Mitiuk, 28 ans, productrice

«Je ne veux pas que ça devienne normal»

A Lviv, 21 mai 2022. «La guerre est une sorte de longue journée épuisante. Ma psychologue m’a conseillé de faire de cette guerre une norme dans ma vie. Com­­me si j’étais une enfant qui n’avait jamais rien connu d’autre. Mais je sais que tout ça n’est pas normal. Je ne veux pas que ça le devienne. Et c’est pour cette raison que nous devons continuer à résister.» «C’est fini, je rentre à la maison» : de Paris à Kyiv, le retour d’une réfugiée ukrainienne


Vitali Klitschko, 51 ans, maire de Kyiv

«Le 24 février, nous avons entamé une journée qui ne s’est toujours pas terminée»

A Kyiv, 15 février 2023. Maire de la capitale ukrainienne depuis 2014, l’ancien et immense champion du monde de boxe, Vitali Klitschko, 51 ans, n’a pratiquement pas quitté Kyiv depuis le début de l’invasion russe. Dans son bureau de l’hôtel de ville, où il a rencontré Libération, il exhorte l’Europe à poursuivre son soutien à l’Ukraine : «Nous ne défendons pas seulement notre pays, nous défendons chacun d’entre vous»

Alisa Kovalenko, documentariste

«Mon cerveau veut sans cesse retourner là-bas»

L’Ukrainienne se rendait dans le Donbass pour tourner quand la guerre a éclaté. Elle a lâché la caméra pour prendre les armes pendant quelques mois. Ecartelée entre son travail, sa famille et son pays, elle envisage aujourd’hui de retourner combattre. Alisa Kovalenko, documentariste : «Mon cerveau veut sans cesse retourner là-bas»


Sviatoslav Vakartchouk, 47 ans, artiste

«La position des dirigeants européens, du président français, est essentielle»

A Paris, 10 janvier 2023. Le rockeur, déjà actif lors de la «révolution orange» et pendant Maidan, est en tournée sur le front où il joue pour les troupes ukrainiennes. Son portrait : Sviatoslav Vakartchouk, le chanteur jaune et bleu