A l’occasion du Festival du livre de Paris les 11, 12 et 13 avril, nos journalistes cèdent la place à des autrices et auteurs pour cette 18e édition du Libé des écrivain·es. Retrouvez tous les articles ici.
«Ils mettent pied à terre, et, joyeux, tous les accueillent avec les mains droites et de douces paroles.» (l’Illiade) C’est quoi une poignée de main ? Si l’usage se démocratise au XIXe siècle, il s’agit, dans un premier temps, d’assurer à son interlocuteur que l’on vient en paix – c’est-à-dire sans arme, sans poignard caché dans la manche. D’égal à égal. On contractualise la paix. Or un agresseur et un agressé ne traitent pas d’égal à égal. Fin mars, la joueuse de tennis ukrainienne Marta Kostyuk éliminait la Russe Anna Blinkova du tournoi de Miami grâce à un ace servi à la cuillère – humiliation cuisante – avant de refuser de lui serrer la main. Même chose pour la sabreuse ukrainienne Olga Kharlan, qui avait été, elle, disqualifiée des mondiaux en 2023 pour ce geste. Jusqu’alors, un décret du ministère des Sports ukrainien interdisait à ses athlètes d’affronter les Russes en compétition (c’était avant la mise en place des bannières neutres). Et lundi 7 avril, le karatéka Yevhenii Melnyk – 13 ans ! – renonçait à monter sur le podium à côté de son adversaire russe au cours d’une compétition en Espagne. «Pas de photos avec les terroristes.» Rappelons qu’en avril 2024, le ministère des Affaires étrangères révélait que 591 athlètes ou entraîneurs avaient été tués au cours du conflit et que 22 étaient toujours en détention. On le sait, la guerre se fait aussi avec les symboles. Mais ces héros ordinaires ne manipulent pas seulement des symboles. Serrer une main, c’est aussi forcer la paix. Obliger à déposer les armes. Détourner le sens originel du geste pour en faire une révérence. Et pour les Russes, ne pas protester, c’est accepter l’invasion et la guerre. Donc avoir les mains sales. Et personne – comme je comprends ces athlètes ; c’est un hypocondriaque qui l’écrit – ne souhaite serrer une main sale.