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Libération
Billet

Un long dimanche de défaite pour les populistes en Europe

La réélection en France d’Emmanuel Macron face à Marine Le Pen et l’échec du Premier ministre populiste sortant en Slovénie Janez Jansa sèchement battu ce week-end montrent les limites de l’attirance pour le modèle «illibéral» et anti-européen.
Le Premier ministre slovène, Janez Jansa, après l'annonce de sa défaite, dimanche soir à Ljubljana. (Jure Makovec/AFP)
par Jean Quatremer, Correspondant européen
publié le 25 avril 2022 à 20h19

Ce dimanche électoral est un jour sombre pour les populistes eurosceptiques et europhobes : non seulement, en France, le Rassemblement national a enregistré sa septième défaite de rang à une élection présidentielle (Le Pen père entre 1988 et 2007, Le Pen fille depuis 2012), mais en Slovénie, le Premier ministre Janez Jansa, allié du Hongrois Viktor Orbán et fervent supporteur de Donald Trump, a été sèchement renvoyé à ses études (23,5 % contre 34,5 % à son adversaire, Robert Golob) après deux ans d’un pouvoir marqué par un net recul de l’Etat de droit.

Ce n’est qu’entre les deux tours de l’élection présidentielle que le thème de l’Europe est revenu sur le devant de la scène, Marine Le Pen n’ayant pas fait de la sortie de l’Union et de l’euro un thème central de sa campagne, à la différence de celle de 2017. Elle avait alors pris conscience que les Français n’étaient pas prêts à la suivre dans ses errements souverainistes et a donc préféré avancer masquée. Car sur le fond, l’ADN du Rassemblement national reste celui du Front national : europhobe et germanophobe, mais aussi anti-atlantiste et russophile. Après le premier tour, l’évidence s’est imposée : son programme menait à une sortie de l’Union et de l’euro. Marine Le Pen a même crânement assumé la rupture du couple franco-allemand, clé de voûte depuis 1950 de la diplomatie française et de la paix sur le Vieux Continent. Ajouté à la sortie de la structure militaire de l’Otan et à l’alliance avec Moscou, cela remettait en cause l’appartenance de la France au «camp» occidental et cela alors que la guerre a fait son retour en Europe.

Le Brexit sans descendance sur le Vieux Continent

Emmanuel Macron a logiquement enfoncé le clou en faisant de l’élection présidentielle un référendum sur l’Union européenne, mais aussi sur la place de la France dans le monde. C’est sans aucun doute ce qui lui a permis de se faire confortablement réélire et non la menace que représentait Le Pen pour la démocratie et les libertés publiques, car après deux ans d’une politique sanitaire folle qui a instauré un Etat d’exception permanent, l’argument était difficilement audible. A cet égard, il est intéressant de noter que cela n’a pas joué dans les outre-mers, éloignés des affaires européennes, qui ne lui ont manifestement pas pardonné sa brutalité sanitaire.

En revanche, en Slovénie, c’est l’Etat de droit et la défense des libertés fondamentales qui expliquent la défaite de Jansa, le Premier ministre sortant n’ayant manifesté aucune intention de sortir de l’Union, de l’euro, de l’Otan et encore moins une quelconque sympathie à l’égard de la Russie (il s’est d’ailleurs rendu à Kyiv, à la mi-mars, avec ses partenaires polonais et tchèque). Il faut noter que c’est aussi le cas d’Orbán, lui triomphalement réélu début avril, même s’il est pro-Poutine : les deux hommes savent ce qu’ils doivent économiquement à l’Union et sécuritairement à l’Otan. Reste que cet échec de Jansa, mais aussi de Marine Le Pen qui voulait l’imposer en France, circonscrit plus que jamais le modèle «illibéral» à la Hongrie et à la Pologne.

Il se confirme donc que, contrairement à ce qu’espéraient les europhobes, le Brexit n’a pas de descendance sur le Vieux Continent pas plus que, contrairement à ce que pouvaient penser les pro-Poutine, l’agression russe en Ukraine n’a divisé les Européens. Au contraire, tant les opinions publiques que les Etats n’ont jamais été autant attachés à la construction communautaire, le Danemark organisant même un référendum en juin pour rejoindre la politique de sécurité et de défense de l’Union, mais aussi à l’Otan, comme le montre la volonté de la Finlande et de la Suède d’y adhérer et d’abandonner leur neutralité.

Chacun a pris conscience que le fumeux «non-alignement», que défendent par exemple le RN et LFI, n’était rien d’autre qu’un vain enfermement sur le pré carré national à l’heure où les enjeux économiques, sécuritaires, environnementaux sont mondiaux. Reste une réalité qu’il va bien falloir affronter : une minorité grandissante d’Européens, essentiellement dans l’Est et dans le Sud du continent, est attirée par un modèle isolationniste et autoritaire ce qui implique un renouvellement profond des pratiques démocratiques, mais aussi des politiques de l’Union.