Alors que les députés européens viennent de voter l’interdiction de la vente des voitures thermiques en 2035, place désormais à un autre volet (tout aussi délicat) du fameux Pacte vert : les énergies. Les députés de tous bords des commissions Envi (environnement, santé publique et sécurité alimentaire) et Econ (affaires économiques et monétaires) du Parlement européen ont voté ce mardi contre la proposition de la Commission d’inclure le gaz fossile et le nucléaire dans la taxonomie «label vert» européen, qui vise normalement à mieux orienter le financement d’activités contribuant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, et ainsi atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050. Le texte a été adopté par 76 voix pour ; 62 députés ont voté contre et 4 se sont abstenus. De quoi envoyer, avant un vote définitif au Parlement, «un signal fort à la Commission européenne avec le refus clair d’alimenter la machine de guerre de Vladimir Poutine», s’est réjoui Greenpeace. «La semaine dernière, nous avons refusé une ambition climatique indécente pour le secteur de l’industrie. Cette semaine, nous mettons en danger la plus vaste opération de greenwashing du moment», a lancé Marie Toussaint, eurodéputée EE-LV.
Pour rappel, la proposition de la Commission européenne inclut notamment le gaz fossile et l’énergie nucléaire comme des énergies de «transition», c’est-à-dire qui permettent de passer d’une production d’électricité très carbonée à une électricité neutre en CO2 dans des «conditions claires et strictes». Lesquelles fixent, «pour les activités nucléaires, qu’elles satisfassent à des exigences de sûreté nucléaire et environnementale ; et, pour les activités gazières, qu’elles contribuent au délaissement du charbon au profit de sources d’énergie renouvelables», détaille l’institution de l’Union européenne. En respectant ces critères, le gaz et le nucléaire sont, de fait, placés provisoirement au même niveau que l’éolien ou le solaire, considérés comme des énergies «vertes» et «durables» sur le plan environnemental, et peuvent donc bénéficier de l’argent public et privé destiné à la transition écologique, normalement en faveur de la mobilité à faible émission ou la rénovation thermique. «Dans la pratique, ça signifie qu’on pourrait donc déposer un permis de construire pour des centrales nucléaires jusqu’en 2045, souligne Neil Makaroff, responsable des politiques européennes du Réseau Action Climat. Pour le gaz, les centrales qui émettront moins de 270 grammes de CO2 par kilowattheure – les plus performantes, mais qui restent très émettrices – pourraient bénéficier de ce label vert européen jusqu’en 2030. Et elles ne s’arrêteront pas après cette date… Elles continueront de fonctionner car, une fois construites, leur durée de vie est de l’ordre de vingt ou trente ans.»
«Soutien de Macron à l’atome»
Si les associations de défense de l’environnement se félicitent donc de cette première victoire en commission, censée fixer un cap et donner le pouls des débats à venir, c’est au Parlement, lors d’un vote crucial en séance plénière au début du mois de juillet, que tout va se jouer. Pour l’heure, les députés sont très divisés sur la question. «Le Parti populaire européen a appelé à voter contre l’inclusion du gaz et du nucléaire alors que Renew [libéraux] est plutôt pronucléaire», assure Neil Makaroff. Si le texte est une nouvelle fois rejeté en séance plénière, il le sera définitivement et ne sera pas examiné par les Etats membres comme à l’accoutumée, donnant ainsi un poids énorme au Parlement. A l’inverse, si la proposition de la Commission européenne est validée par le Parlement, les Etats membres devront se prononcer. Beaucoup, comme l’Espagne, le Portugal, le Luxembourg, le Danemark et l’Autriche se sont levés contre la décision d’intégrer le gaz ou le nucléaire dans la taxonomie européenne. Quant à la France, elle semble jouer un double discours. «A la COP26, Emmanuel Macron a mentionné qu’il fallait sortir des énergies fossiles. Parallèlement, il a mené des négociations avec plusieurs Etats, dont la Pologne, pour intégrer le gaz et le nucléaire dans la taxonomie européenne. Pourquoi ? Car sans le soutien des pays favorables au gaz, la France n’aurait pas pu obtenir la classification du nucléaire en label vert. Le chef de l’Etat n’a jamais fait mystère de son soutien à l’atome. Il en va de la survie de l’industrie du nucléaire en France», souligne Neil Makaroff.
Ce dernier ajoute par ailleurs que «le gaz fossile a un coût climatique − c’est la première source d’émission de gaz à effet de serre du secteur de l’électricité en Europe − mais aussi géopolitique et social. Il est temps de couper notre dépendance. Quant au nucléaire, il pose des problèmes en termes de sûreté et de déchets. Sachant qu’il faut quinze ans pour construire une centrale, la notion d’énergie de transition est d’autant plus contestable. Continuer à investir dans ces infrastructures, c’est faire dérailler notre trajectoire climatique européenne».
D’autant que, dans le cadre du Green Deal, l’Europe s’est engagée à réduire ses émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030 (par rapport à 1990), ce qui implique de baisser sa consommation de gaz de 25 % d’ici à cette date.