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Crise migratoire

Vives tensions entre forces polonaises et migrants à la frontière avec le Bélarus

Crise migratoire à la frontière entre le Bélarus et la Polognedossier
Les forces de sécurité polonaises ont annoncé mardi avoir fait usage de gaz lacrymogène et déployé des canons à eau pour repousser des migrants qui jetaient des pierres en tentant de traverser la frontière depuis le Bélarus.
Des migrants amassés dans un campement improvisé au poste de Bruzgi à la frontière entre le Bélarus et la Pologne, le 15 novembre. (LEONID SHCHEGLOV/AFP)
publié le 16 novembre 2021 à 17h14

«Personne n’a besoin d’escalade. Ni l’UE, ni le Bélarus», clamait lundi soir l’autocrate bélarusse Loukachenko au téléphone avec la chancelière allemande Angela Merkel pour tenter de désamorcer la crise migratoire et diplomatique à la frontière entre le Bélarus et la Pologne. Au lendemain de ce coup de fil entre les deux dirigeants, les tensions sont pourtant loin de retomber.

Quelque 4 000 migrants au total campent actuellement, selon les gardes-frontières polonais, dans le froid et des conditions qui se dégradent de jour en jour, le long de la frontière entre la Pologne et le Bélarus. Le face-à-face, qui a débuté la semaine dernière près du point de passage entre les villages bélarusse de Bruzgi et polonais de Kuznica, où se sont rassemblés plusieurs centaines de migrants souvent originaires du Proche-Orient, se poursuivait toujours mardi.

«Des migrants ont attaqué nos soldats et officiers avec des pierres et tentent de détruire la clôture et de passer en Pologne», a tweeté mardi le ministère polonais de la Défense. La police polonaise a fait état d’un policier grièvement blessé, vraisemblablement victime d’une fracture du crâne, «en résultat d’une attaque par des personnes poussées par le côté bélarusse». A Kuznica, «nos forces ont utilisé du gaz lacrymogène pour réprimer l’agression des migrants», ainsi que des canons à eaux, ont précisé les autorités polonaises.

Une attitude jugée inacceptable par le porte-parole de la diplomatie du Bélarus qui a accusé Varsovie d’aggraver la crise en cours à la frontière entre les deux pays, où des heurts ont eu lieu entre forces polonaises et migrants souhaitant entrer dans l’Union Européenne. «L’objectif de la partie polonaise est tout à fait clair : elle a besoin d’aggraver encore la situation et d’étouffer tout progrès vers un règlement, a affirmé Anatoli Glaz, selon un communiqué publié par son ministère. Nous voyons aujourd’hui des provocations de la Pologne et un traitement inhumain avec ces démunis.»

Selon des groupes caritatifs, au moins onze migrants sont morts de part et d’autre de la frontière depuis l’été. L’un d’eux, Ahmad al-Hassane, un Syrien de 19 ans venu de Homs, a été enterré lundi près de la frontière, du côté polonais. Sur le terrain, nombre de migrants, qui se sont souvent endettés pour payer le voyage, se disent déterminés à rester, malgré l’accès limité à des vivres et produits de première nécessité. La Croix-Rouge bélarusse a indiqué avoir livré trois tonnes d’aide mardi.

La veille, la compagnie aérienne bélarusse Belavia a déclaré que les Syriens, Irakiens, Afghans et Yéménites étaient désormais interdits de vol de Dubaï vers le Bélarus. La Turquie a imposé les mêmes restrictions la semaine passée. L’Irak a annoncé un vol de rapatriement prévu jeudi pour au moins 200 de ses ressortissants bloqués à la frontière au Bélarus, dont des femmes et des enfants.

«Tragédie humaine grave»

Alexandre Loukachenko a beau répéter, comme ce fut encore le cas ce mardi, vouloir éviter que cette crise migratoire ne dégénère en «confrontation» avec ses voisins européens, c’est pourtant déjà le cas. Dans ce jeu de dupes diplomatique où les deux camps se renvoient la balle, l’UE accuse Minsk d’avoir organisé l’afflux de milliers de migrants aux frontières de la Pologne et de la Lituanie pour se venger des sanctions imposées après l’implacable répression de l’opposition populaire depuis 2020. Bruxelles et Washington ont annoncé vouloir élargir dans les prochains jours ces mesures punitives.

La France, via le Premier ministre Jean Castex a estimé mardi que le Bélarus «instrumentalise de manière inhumaine et éhontée les flux migratoires», dans la crise en cours à la frontière polonaise, afin de «déstabiliser (l’Union européenne). C’est intolérable et inacceptable», a déclaré mardi Jean Castex lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale. Il a évoqué une «tragédie humaine grave», et notamment plaidé pour «aider à l’accueil des personnes en besoin de protection».

Il faut aussi «maintenir une pression très forte sur les autorités biélorusses», a insisté le chef du gouvernement en citant les différents «paquets de sanctions» adoptées ou en cours d’examen au niveau de l’UE. «Cette crise ne fait que confirmer la nécessité de […] refonder même notre politique commune en matière d’asile et d’immigration», a souligné Jean Castex, qui souhaite «avancer sans plus attendre sur le pacte Asile et immigration proposé par la Commission en septembre 2020», notamment dans le cadre de la présidence française de l’Union à compter du 1er janvier prochain.

Vues «divergentes»

S’il a affirmé s’être mis d’accord avec Angela Merkel sur le fait que la crise devait être désamorcée, Loukachenko a martelé que les vues étaient «divergentes» sur la manière dont les migrants sont arrivés au Bélarus et nié une fois de plus que son pays ait favorisé leur venue. «L’essentiel, aujourd’hui, est de défendre notre pays, notre peuple et d’éviter les heurts», s’est contenté de rappeler mardi matin Loukachenko, cité par l’agence de presse étatique Belta.

La Russie, par l’intermédiaire de son ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, dénonce de son côté «le comportement de la partie polonaise […] absolument inacceptable. Ils violent toutes les normes juridiques», alors que la Pologne doit commencer en décembre la construction d’un mur le long de la frontière avec le Bélarus, et la finira au premier semestre 2022. «L’entreprise que nous devons mener à bien est un investissement absolument stratégique et prioritaire pour la sécurité de la nation et de ses citoyens», justifiait lundi le ministre de l’Intérieur polonais Mariusz Kaminski.

Le ministère de l’Intérieur polonais a souligné que les contrats correspondants seraient signés d’ici au 15 décembre et que les travaux seraient entamés plus tard le même mois, les ouvriers devant se relayer 24 heures sur 24 en trois équipes. L’ouvrage coûtera environ 353 millions d’euros (407 millions de dollars) et devrait s’étendre sur 180 kilomètres, soit environ la moitié de la longueur totale de la frontière séparant la Pologne du Bélarus (407km). Le Parlement a donné son feu vert à sa construction le mois dernier.

Interrogé sur France Inter pour savoir si Paris soutenait cette construction d’un mur par Varsovie, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a indiqué mardi que «la France ce qu’elle dit, l’Europe ce qu’elle dit, c’est qu’on doit faire respecter nos frontières. Ce qu’elle dit, c’est qu’elle est en solidarité avec les pays confrontés à cette situation» a-t-il souligné, refusant de condamner l’érection de ce mur. «Évidemment, la situation et cette escalade (entre Pologne et Bélarus, ndlr) me désolent ; ce que je dis, c’est que je n’ai pas de leçons à donner à des pays qui sont confrontés», a-t-il éludé mardi matin.