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Libération
Témoignage

Vlada, calfeutrée à Kiev: «Nous allons nous en sortir car nous avons la vérité avec nous»

Guerre entre l'Ukraine et la Russiedossier
A 25 ans, Vlada H. a passé sa vie dans la capitale ukrainienne. Elle raconte les premiers jour de la guerre à «Libération».
Des restes d'un obus à Kiev, jeudi. (Valentyn Ogirenko/Reuters)
publié le 25 février 2022 à 18h55

«Je communique en russe depuis l’enfance et ma famille aussi. Mais deux jours avant la guerre, certains de mes amis et moi avons décidé de passer à l’ukrainien, autant que possible. J’aurais probablement dû le faire avant. Je vis à la maison avec ma mère tout le temps. Jusqu’au dernier moment, la plupart d’entre nous n’ont pas cru que c’était possible. Cela semblait tout à fait absurde, surréaliste en 2022, de commencer si effrontément et ouvertement une guerre contre un Etat souverain indépendant.

«Le 24 – il semble maintenant que c’était il y a très longtemps –, je me suis réveillée et me suis préparée pour le travail, comme d’habitude. J’étais sous la douche quand ma mère est venue me dire : “Vlada, la Russie a attaqué.” Je la croyais, mais j’espérais que ce n’était qu’une farce après tout. Hélas. Avec ces mots, une nouvelle vie et une nouvelle condition ont commencé. Nous avons immédiatement commencé à prendre contact avec nos proches. J’ai appelé une amie et l’ai réveillée. Elle a dit dans son sommeil : “Tu m’as réveillée pour ça ?” Après cela, nous nous sommes contactées presque toutes les heures, comme beaucoup de mes proches, amis, collègues.

«Ce qui renforce la foi, c’est notre peuple. La façon dont les Ukrainiens se soutiennent mutuellement, s’unissent et coopèrent, s’inquiètent les uns des autres. Le calme et l’organisation de chacun. Les gens qui continuent à défendre volontairement le territoire. Je peux clairement et fortement ressentir notre esprit ukrainien, notre force et notre puissance.

«Jeudi, j’avais un peu l’impression d’être dans une sorte de délire toute la journée, et j’ai eu peur d’aller me coucher. Le fait est que nous avons décidé de rester à la maison jusqu’à ce que les sirènes retentissent. Nous avons trois chats et nous ne pouvions pas les laisser derrière nous. C’était stressant de les transporter jusqu’à l’abri antibombe mais nous étions prêts : nous avions toutes nos affaires prêtes, une cage pour un chat et un sac où nous avions prévu de mettre les deux autres.

«Je me suis couchée avec mes bottes»

«Tout était posé dans le couloir, et nous nous sommes assises à côté pendant un moment le soir. Puis on a appris qu’une attaque sur Kiev était prévue à 3 heures du matin. Et nous avons décidé d’essayer de dormir. Mais c’était très difficile. Je me suis couchée avec mes bottes pour pouvoir réagir rapidement en cas de problème. Je n’ai réussi à dormir que quelques heures, je me réveillais de temps en temps pour vérifier les nouvelles et la situation dans la ville.

«Après le “rêve”, si je puis dire, je me suis réveillée dans un état différent. Il n’y avait plus de peur du tout, il y avait un calme et une force à l’intérieur. Je crois que nous allons nous en sortir car nous avons la vérité avec nous et que nous défendons notre chez nous. On peut le constater encore plus lorsqu’on reçoit, au fur et à mesure, des nouvelles sur le succès de notre armée : ces hommes courageux et forts remportent victoire après victoire, ils sont confiants et bien coordonnés. Ils défendent notre patrie sans crainte. Il suffit de regarder les gars de l’île des Serpents. Nos hommes sont des héros !

«J’ai beaucoup d’énergie qui bouillonne en moi. Le moins que je puisse faire c’est vous écrire, vous le dire, contacter tous mes proches et être près de ma mère. Je pense que si je pouvais abriter ma mère avec nos animaux dans un endroit sûr, je me lancerais moi aussi dans la défense de l’Ukraine. Je veux être aussi utile que possible à mon peuple et à mon pays. Mais je réalise que ma responsabilité est ici, pour le moment. Presque toute ma famille est à Kiev. Mon frère, sa femme et leur petit garçon sont partis pour le mettre en sécurité. Ma grand-mère a refusé catégoriquement de partir, comme ma mère et ma tante ainsi que mon mari. Bien sûr, je suis restée avec eux. Beaucoup de mes amis et collègues séjournent ici avec leurs familles. Nous ne quitterons pas Kiev.

«Dans la maison voisine, on voit aussi beaucoup de gens, d’autres près des abris antibombes. Certains sont partis, ils ont leurs propres raisons. Certains de mes amis se réunissent et aident ceux qu’ils peuvent. Ils coopèrent, si possible, pour aider à trouver des moyens de transport, pour déplacer les gens vers des lieux plus sûrs.

«La foi reste intacte»

«Parfois, on se demande : qu’est-ce qui se passe en ce moment ? Dans mon âme il y a toujours l’espoir que tout cela n’est qu’une sorte de rêve effrayant et que je suis sur le point de me réveiller. Mais ce n’est pas le cas.

«Je viens d’entendre des explosions. Nous les entendons de temps en temps. Parfois plus près, parfois plus loin. Mais il n’y a pas de crainte à avoir. Il y a de la douleur et du ressentiment à l’idée que nous devons endurer toute cette horreur à cause de l’esprit malade et de la fantaisie de cet usurpateur. Que nous devons nous inquiéter pour nos proches, qui ne peuvent prendre soin d’eux-mêmes, qui sont plus faibles.

«Mais la foi reste intacte. Et c’est le moins que nous, et moi en particulier, puissions faire pour notre armée maintenant. Croyez et ne doutez pas une seconde. Bien entendu, nous espérons également que les dirigeants des organisations mondiales réagiront comme il se doit et prendront des mesures concrètes pour arrêter Poutine. Plus précisément : aider notre armée avec de l’argent et des équipements, déconnecter la Russie de Swift et imposer un régime d’interdiction de vol au-dessus de l’Ukraine.

«Je pense que tout le monde devrait comprendre que ce n’est pas seulement un défi pour l’Ukraine, c’est un défi pour le monde civilisé tout entier.»