Vladimir Ossetchkine est, selon une expression russe consacrée, «très connu dans un petit cercle étroit». L’ancien homme d’affaires, poursuivi en Russie pour escroquerie et réfugié en France depuis 2015, est le fondateur du site Gulagu.net, spécialisé dans la documentation des cas de torture au sein du système pénitentiaire russe. Au sein de la communauté des militants russes pour les droits de l’homme, pourtant, Ossetchkine inspire au mieux la méfiance. A la faveur de l’invasion russe de l’Ukraine, ce «défenseur des droits de l’homme» connu pour monnayer ses services et accuser tous ses détracteurs d’être à la solde du FSB, a accru sa notoriété.
Notamment, comme le révèle le média d’investigation russe Proekt dans un portrait circonstancié et très fouillé, en organisant l’évacuation de militaires, agents des services spéciaux, lanceurs d’alerte et autres transfuges de Russie. Sauf que les opérations de sauvetage ne se passaient pas toujours comme le racontait Ossetchkine dans ses lives interminables sur sa chaîne Youtube, qui a effectivement doublé son audience en six mois.
Extorsions et dénonciations
Comme le confirme l’enquête de Proekt, plusieurs des «évacués» ont dû se débrouiller tous seuls, pendant que le militant fanfaronnait sur les réseaux sociaux. Ce fut le cas, entre autres, du parachutiste Pavel Filatiev, qui a participé à l’invasion de l’Ukraine dans les premiers mois de la guerre avant de quitter le front et de publier un témoignage édifiant sur l’état de l’armée russe, ZOV (paru en France chez Albin Michel). Selon nos propres informations, Ossetchkine a également tenté, par la suite, de dépouiller le soldat de ses droits d’auteur sur son texte, vendu dans plusieurs pays. Quand Filatiev a saisi la justice, Ossetchkine l’a accusé d’être un agent du FSB et un criminel de guerre.
Selon plusieurs témoignages recueillis par Proekt, Vladimir Ossetchkine a extorqué des sommes considérables en échange de services à l’aide à l’obtention de l’asile politique en France, sans que la procédure n’aboutisse. Ce fut par exemple la mésaventure d’un employé du service pénitentiaire russe, Pavel Chtchitinine, qui s’était engagé à verser «40 000 euros pour une famille de cinq personnes», précise Proekt. Une fois en France, Chtchitinine, qui a «dû fuir la Russie par ses propres moyens, avec un faux passeport qu’il affirme avoir obtenu grâce à l’aide de ses anciens collègues du ministère de l’Intérieur», s’est fait dénoncer au FSB par Ossetchkine lui-même. Ce qui avait convaincu encore un peu plus ses détracteurs qu’il était de mèche avec les services secrets russes.
Virements en cryptomonnaie
Comme le souligne Proekt, même les activités qui relèvent de la défense des droits humains d’Ossetchkine semblent louches, tant il y a toujours des zones d’ombre. «Le plus grand soupçon qu’Ossetchkine travaille pour les services russes a été éveillé par la publication sur Gulagu.net de 2 téraoctets d’enregistrements provenant des caméras de surveillance de l’hôpital pour tuberculeux pénitentiaire de Saratov (OTB-1)», écrivent les auteurs de l’enquête. Еn 2021, Ossetchkine publie ces «archives secrètes» : des images volées depuis une prison russe prouvant les sévices qu’y subissent les détenus, au vu et au su de la hiérarchie pénitentiaire.
Mais les circonstances de l’obtention de ces vidéos (via un ex-détenu que la police russe a laissé filer à l’étranger) et les conséquences immédiates de la fuite des vidéos (le limogeage du directeur du service fédéral des prisons) ressemblaient à une opération montée par une chapelle contre une autre au sein des services d’ordre russes. Ce que n’a pas manqué de souligner une spécialiste du milieu carcéral, Olga Romanova, citée par Proekt. Plus louches encore sont les virements importants en cryptomonnaie qu’Ossetchkine a reçus à la même période.
Vladimir Ossetchkine vit depuis 2015 à Biarritz, en menant un train de vie plutôt cossu, qu’il documente sur sa page Facebook. Depuis janvier 2022, il est sous protection policière, suite à «une tentative d’assassinat par des Tchétchènes» sur ordre direct de Vladimir Poutine, a-t-il expliqué à qui voulait l’entendre. En septembre 2022, il aurait été victime d’une autre tentative, dans des circonstances obscures. «Les autorités françaises se sont contentées d’une déclaration prudente, ne voyant aucun élément attestant la version d’Ossetchkine», précise Proekt.
Droit de réponse de Vladimir Ossetchkine, publié le 9 novembre 2023 :
«Ayant été mis en cause dans l’article publié le 15 septembre 2023 sans même avoir été contacté par la journaliste afin de recueillir mon point de vue sur mon portrait dressé par le média russe Proekt, je souhaite réagir comme le permet la loi. Je récuse l’ensemble des points mentionnés dans l’article. En particulier, je suis dépeint comme un défenseur des droits de l’homme «intéressé», comme un «nébuleux personnage» «connu pour monnayer ses services et accuser tous ses détracteurs d’être à la solde du FSB» et avoir «extorqué des sommes considérables en échange de services à l’aide à l’obtention de l’asile politique en France, sans que la procédure n’aboutisse». Mon parcours et mon engagement d’activiste depuis plus de dix ans sont la preuve du contraire. Depuis 2011 et au péril de ma propre sécurité et de celle de ma famille, je dénonce, au travers de mon site www.gulagu.net. les pratiques inhumaines perpétrées au sein du système pénitentiaire russe ainsi que la corruption dont j’ai moi-même été la victime. J’ai ainsi subi et ai été le témoin des actes que je dénonce. En 2000 puis de 2007 à 2011, j’ai été arrêté arbitrairement et torturé pour des faits que je n’avais pas commis ou faute d’avoir accepté de travailler avec des fonctionnaires corrompus. A ma libération, je me suis consacré au projet gulagu.net et, en 2012, j’ai créé un second portail ONK.RF, où les membres des commissions de surveillance publique pouvaient publier leurs rapports de visites dans les tribunaux et les prisons. Ces sites ont ainsi permis à des milliers de proches de détenus de s’exprimer sur la situation alarmante des prisons russes.
En m’opposant aux agents corrompus du Service fédéral de sécurité et système pénitentiaire (FSB et FIN) et en continuant de rendre public de nombreux faits de torture, j’ai suscité, avec d’autres collaborateurs de gulagu.net, l’hostilité des autorités russes, qui s’est traduite par une tentative de suppression de gulagu.net et par des arrestations arbitraires et persécutions de ses militants qui ont notamment été impliqués dans diverses affaires fallacieuses par les autorités russes et, en particulier le FSB. Nous avons été désignés comme pourvoyeurs de mensonges sur le système pénitentiaire.
En 2015, J’ai été personnellement menacé en raison de mes prises de position contre les méthodes du FSB et le projet de loi visant à élargir ses pouvoirs et j’ai été soupçonné à tort d’être impliqué dans des affaires de fraude et de corruption considérées finalement infondées par les autorités russes. Pour préserver mon indépendance et ma liberté, j’ai alors été contraint de fuir la Russie pour la France, où j’ai été reconnu réfugié en 2016. En octobre 2019, je me suis exprimé devant le Parlement européen sur la torture et l’exploitation du travail forcé des prisonniers en Russie. En représailles, des attaques informatiques à l’encontre de mes deux sites en janvier 2020 ont conduit à la destruction substantielle de données collectées depuis des années. Parallèlement, sur mes deniers personnels puis avec l’appui de mon association New Dissidents Fondation, j’ai permis à des collaborateurs du projet gulagu.net de s’exfiltrer de Russie et de trouver refuge en France afin de continuer à livrer des témoignages importants et actuels sur les violations des droits de l’Homme en Russie.
Je n’ai aucune accointance avec le FSB et l’administration russe, mes engagements allant à l’encontre de leurs intérêts. Mes actions (et notamment la diffusion en octobre 2021 d’images d’humiliations, de viols et de torture administrées aux détenus par le personnel pénitentiaire) ont mené à la démission d’agents du FSB et de l’administration pénitentiaire, contraignant même Vladimir Poutine à réagir et initier une réforme pénale avec un durcissement des peines pour les actes de torture. Ces dernières publications ont été reprises médiatiquement dans le monde entier et, en mars 2023, J’ai témoigné devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur le caractère systématique de la torture dans les prisons russes et sur les actes de tortures pratiqués sur les prisonniers ukrainiens, constitutifs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Les accusations fomentées par mes détracteurs à propos de prétendus actes d’extorsion, de corruption, d’espionnage et de diffamation dont je serai l’auteur ne sont le fruit que de la campagne de désinformation ayant pour but de nuire à ma réputation et de décrédibiliser mes actions menées au péril de ma vie afin de dénoncer des crimes mettant à mal le FSB, l’administration et l’armée russes. Je confirme n’avoir jamais été condamné pour de tels actes, y compris en France.»