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Russie

Vladimir Poutine, c’est reparti pour un cinquième tour

Le président russe a prêté serment pour un cinquième mandat qui court jusqu’en 2030, en promettant à ses compatriotes de «vaincre ensemble» dans une guerre existentielle contre le monde entier.
Photo de l'agence russe Sputnik montrant Vladimir Poutine après la cérémonie d'investiture mardi à Moscou. (Valery Sharifulin /AFP)
publié le 7 mai 2024 à 17h08

Il neige mouillé sur Moscou. A 71 ans, Vladimir Poutine a entamé ce mardi 7 mai, à midi, son cinquième mandat, en se passant à lui-même le pouvoir. La date et l’heure sont les mêmes depuis l’an 2000, sa première investiture, il y a presque un quart de siècle. Sous les ors flamboyants du Kremlin, le protocole reste presque inchangé – serment sur la Constitution, prise en main des symboles du pouvoir (étendard et insigne présidentiel) –, tout comme la foule des invités. Tout le gratin grisonnant des fidèles – le patriarche Kirill, le maire de Moscou, Sergueï Sobianine, le dirigeant de la Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, l’ami de jeunesse et milliardaire Arkady Rotenberg, l’acteur américain Steven Seagal et autres courtisans. Soit plus de 2 500 invités pour «cet événement historique», s’est extasié le commentateur de la chaîne fédérale Rossiia.

Par le passé, et notamment en 2012, pour se rendre à la cérémonie, Poutine avait traversé une capitale totalement bouclée et vide, seul dans une limousine aux vitres teintées, tandis qu’une manifestation de l’opposition avait été violemment réprimée la veille. Cette fois, le président sortant est saisi par les caméras dans son bureau kremlinois, où il fait mine de réviser des notes de dernière minute. S’ensuit un plan séquence à la Scorsese, Poutine marche pendant de longues minutes dans les interminables couloirs du palais du Sénat qui abrite la présidence, en s’arrêtant de temps en temps pour regarder de plus près l’un des tableaux de maître qui en ornent les murs. Les messages distillés par la télé russe ne sont pas subliminaux. En entrant dans le Grand Palais du Kremlin, Poutine passe devant une toile monumentale intitulée «Qui vient avec le glaive périra par le glaive», contant les exploits du prince Alexandre Nevski, «le défenseur des terres russes», explique le présentateur avec exaltation. Toute la scénographie, emmenant le spectateur à travers les salles qui ont vu les tsars et les leaders bolcheviques, vise clairement à inscrire le règne de Poutine dans la grande histoire.

«Ensemble, nous vaincrons»

Après avoir prêté serment sur la Constitution qu’il a fait changer en 2020 pour assurer sa rééligibilité à l’infini, le nouveau président de la Fédération de Russie a remercié tous les Russes d’avoir voté pour lui, ainsi que «les résidents de nos terres historiques qui ont souhaité nous retrouver» et «les héros de l’opération militaire spéciale qui combattent pour notre patrie». Il a rappelé que «l’objectif suprême du chef de l’Etat est de protéger la Russie» et assuré que les intérêts et la sécurité du peuple russe seront au centre de ses préoccupations. «Nous déterminerons le destin de la Russie nous-mêmes et seulement nous-mêmes, dans l’intérêt des générations actuelles et futures», a-t-il martelé, avant de rappeler que la Russie ne renonçait pas au dialogue avec les pays occidentaux. «Nous sommes un peuple uni et grand. Ensemble, nous vaincrons», a clamé le président en guise de conclusion, avant d’aller passer en revue le régiment présidentiel et se laisser bénir par le patriarche Kirill dans l’une des églises du Kremlin.

En s’étouffant d’extase, les commentateurs de Rossiia ont rendu l’antenne après cet «événement suivi par le pays entier et le monde entier». Qui, incidemment, avait plutôt les yeux rivés sur ce qui se passe à Gaza, à en croire les chaînes d’info internationales, dont aucune n’a bouleversé sa grille pour si peu. Du reste, la plupart des pays de l’Union européenne ont boycotté le cérémonial, hormis la France, la Hongrie, la Slovaquie, Malte, la Grèce et Chypre. L’ambassadrice américaine n’en était pas non plus, car les Etats-Unis considèrent que l’élection présidentielle russe n’a pas été juste et équitable, a fait savoir le département d’Etat américain. L’UE avait également jugé le scrutin non démocratique, condamnant sa tenue dans les territoires occupés de l’Ukraine.

«Menteur, voleur et assassin»

A la veille de l’investiture, le ton était monté d’un cran entre Moscou et les chancelleries occidentales. Annonçant des exercices nucléaires prochains non loin de l’Ukraine, le Kremlin a prétendu répondre à aux «menaces» proférées par les Occidentaux «d’envoyer des contingents armés en Ukraine, c’est-à-dire de placer des soldats de l’Otan face à l’armée russe». Lundi, l’ambassadeur de France à Moscou, Pierre Levy, a été convoqué au ministère des Affaire étrangères, pour la troisième fois depuis le début de l’année. «La France constate que les canaux diplomatiques sont une nouvelle fois détournés à des fins de manipulation de l’information et d’intimidation, a commenté le Quai d’Orsay, mardi. Le ministère russe s’est de nouveau livré à une inversion des responsabilités, cherchant à accuser les pays occidentaux de menacer la Russie, alors que celle-ci mène depuis plus de deux ans en Ukraine une guerre d’agression au mépris du droit international.»

L’opposition russe – ce qu’il en reste –, dispersée en Europe, a elle aussi contesté le début du nouveau mandat, qui court jusqu’en 2030. Mardi matin, Ioulia Navalnaïa a enregistré un message vidéo pour traiter Poutine de «menteur», «voleur», «assassin». «Pour moi, les six années de Poutine sont celles où mon mari Alexeï Navalny, un homme honnête et courageux, un vrai patriote, a été persécuté, empoisonné avec des armes chimiques, jugé, torturé en prison pendant trois ans, puis tué. Et c’est Poutine qui l’a fait», a dit la veuve de l’opposant. Les équipes d’Alexeï Navalny, elles, ont préparé le terrain en amont, à leur façon. Lundi, la Fondation de lutte anticorruption (FBK) a publié une vidéo exclusive, promenade en caméra cachée dans le fameux «palais de Poutine», au luxe délirant. Et, dans les jours qui ont précédé, une série sur les «Traîtres», toute la bande des oligarques des années 1990, qui a troqué l’avenir de la Russie pour ses intérêts personnels et «commis le crime» d’avoir porté Vladimir Poutine au pouvoir. De son côté, Novaya Gazeta Europe a appelé «les médias indépendants à refuser d’utiliser le terme “président” pour qualifier le dictateur russe», en précisant sur Telegram que «le 7 mai 2024 n’est pas la date d’investiture du président russe, mais une des dates symboliques de l’usurpation du pouvoir dans notre pays».