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Explosion à Beyrouth : la colère des Libanais après un nouveau blocage de l’enquête

Explosions à Beyrouth: la colère des Libanaisdossier
Des centaines de manifestants sont descendus dans les rues de Beyrouth ce mercredi, après la nouvelle suspension de l’enquête menée par le juge Tarek Bitar sur l’explosion qui a ravagé la capitale et fait 214 morts et 6 500 blessés en août 2020.
Des militants et des proches des victimes de l'explosion du port de Beyrouth devant le palais de justice ce mercredi, pour protester contre la suspension de l'enquête sur l'explosion du port du 4 août 2020. (ANWAR AMRO/AFP)
publié le 29 septembre 2021 à 20h28

La vérité et les responsabilités sur l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth qui a fait 214 morts et plus de 6 500 blessés ne sont pas près d’être établies. Ingérences politiques et obstruction juridique se multiplient de la part des dirigeants politiques et sécuritaires libanais, prévenus dans l’enquête. «Nous vous poursuivrons jusqu’à ce que justice soit rendue», ont répondu ce mercredi des centaines de manifestants devant le palais de Justice de Beyrouth. Rassemblés à l’appel des familles des victimes, ils ont exprimé leur colère après une nouvelle suspension de l’enquête menée par le juge Tarek Bitar. Celui-ci a été dessaisi du dossier à la suite d’une plainte déposée contre lui par l’ex-ministre de l’Intérieur Nohad al-Machnouk, l’un des anciens dirigeants soupçonné de «négligence et manquements» au sujet des centaines de tonnes de nitrate d’ammonium entreposés depuis 2014 dans le port de Beyrouth, à l’origine de l’explosion dévastatrice. L’ancien ministre réclame le dessaisissement du juge, invoquant un vice de forme sur la base d’un article constitutionnel stipulant la poursuite des ministres et responsables par la seule Haute Cour de Justice.

La France a regretté mercredi la suspension de l’enquête soulignant que «les Libanais ont le droit de savoir et que la justice libanaise doit travailler en toute transparence, à l’abri de toute interférence politique», a déclaré la porte-parole du ministère des Affaires étrangères. «Il revient aux autorités libanaises de permettre à l’enquête de se poursuivre avec les moyens financiers et humains nécessaires, afin de faire toute la lumière sur ce qui s’est passé le 4 août 2020, conformément aux attentes légitimes de la population libanaise», a-t-elle affirmé.

«Potentielle intention d’homicide»

Pointées du doigt pour négligence criminelle, les autorités libanaises ont rejeté toute enquête internationale, avant de dessaisir en février le premier enquêteur après l’inculpation de hauts responsables. Le prédécesseur de Tarek Bitar, le juge Fadi Sawan, avait en effet été démis de ses fonctions à la mi-février, après un recours présenté par les députés Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, déjà mis en cause à l’époque.

«Nous sommes tous le juge Bitar», pouvait-on lire mercredi sur une des pancartes brandies par les protestataires à Beyrouth qui citaient les noms de plusieurs des ministres et députés convoqués par le magistrat. Depuis qu’il a hérité de l’affaire, le juge Bitar a convoqué quatre anciens ministres parmi lesquels trois parlementaires actuels, y compris Nohad al-Machnouk, soupçonnés de «potentielle intention d’homicide» et de «négligence et manquements». Mais le Parlement a refusé de lever leur immunité, tandis que les pressions politiques sur l’enquêteur se sont accentuées.

Aucun des responsables n’a répondu à la demande d’interrogation et chacun a invoqué une immunité ou trouvé un subterfuge. Par son travail méthodique et indépendant, le juge a su gagner la confiance des familles de victimes et le respect des ONG libanaises et internationales qui suivent l’enquête. Quelques jours avant d’être suspendu, il avait reçu des menaces du Hezbollah, selon les révélations de la chaine libanaise LBCI. «Nous en avons assez de toi. Nous irons jusqu’au bout avec les moyens légaux, et si cela ne fonctionne pas, nous allons te déloger», aurait averti un représentant du parti fortement soupçonné pour sa responsabilité dans le dépôt des produits hautement explosifs dans le port de Beyrouth.