Partout, le soulagement et la surprise. Ce dimanche soir, les médias européens sont à l’unisson. «La France a dit non à l’extrême droite», écrit El Pais immédiatement après l’annonce des premières projections. «Victoire sensationnelle de la gauche», titre de son côté le Taz, le quotidien de la gauche allemande, qui parle d’une «élection historique». La formule revient aussi outre-Manche, sur le site du Guardian qui s’arrête surtout sur la performance du Rassemblement national : «C’est un résultat historique pour le RN, son meilleur score jamais atteint dans une élection parlementaire, et une hausse du nombre de sièges par rapport aux 88 qu’il avait au Parlement le mois dernier au moment de la dissolution. Mais c’est aussi [un score] beaucoup plus bas que ce qu’espérait le parti après être arrivé en tête au premier tour la semaine dernière.»
A l’étranger non plus, personne n’avait vu la victoire de la gauche venir. «Surprise» et «inattendu» revenaient dans tous les titres. «Il faut reconnaître ça aux Français. Ils nous captivent, placent tout le monde sur le gril et nous renversent avec un résultat totalement inattendu», écrit le journaliste du média européen Politico Nicholas Vinocur sur X.
«La France donne une leçon sur les bénéfices d’une élection à deux tours»
Pour trouver des explications à ce qui est globalement interprété comme un échec de l’extrême droite, plusieurs hypothèses ont été avancées. Certaines pointent vers le système électoral français. Alors que le Royaume-Uni sort à peine d’une élection dont les résultats ont suscité de vrais débats sur son système électoral, uninominal majoritaire à un tour (qui signifie que le premier arrivé en tête dans une circonscription remporte le siège, quel que soit le nombre de voix gagnées), Edward Luce du Financial Times estime, par exemple, que «la France donne une leçon sur les bénéfices d’une élection à deux tours, qui donne le temps aux antifascistes de se rassembler et d’organiser un vote tactique. Très impressionnant».
Les commentateurs sont aussi nombreux à souligner que malgré ce résultat inespéré, le pari de la dissolution fait par Macron restait extrêmement dangereux. «C’est un succès extraordinaire pour le “front républicain”, au nom duquel les candidats de gauche et du centre se sont retirés pour bloquer l’extrême droite. Mais le résultat ne justifie pas le coup de poker. Le Parlement va être bloqué. Le RN gagne des sièges alors que [le parti de] Macron en perd. [La dissolution] reste une erreur majeure de Macron», estime le directeur du think tank Eurasia Groupe, Mujtaba Rahman, sur X. «Le Pen a été vaincue mais cela ne sort pas la France des charbons ardents. Macron va maintenant devoir déterminer qui peut gouverner. Le thème de la cohabitation se déplace de droite à gauche», écrit aussi la Repubblica, le grand quotidien de centre gauche italien.
A ce titre, Michaela Wiegel, la correspondante à Paris du Frankfurter Allgemeine Zeitung, souligne que les circonstances seraient propices à «un échange franco-allemand sur l’expérience de construction d’une coalition». «Même si ce n’est écrit nulle part, Emmanuel Macron devrait vraiment demander conseil à Berlin», écrit-elle.
«C’est tellement important»
Dans un éditorial, le journal suisse le Temps se penche aussi sur la question délicate de la majorité à trouver. «Comment le pouvoir se partagera-t-il dans ce pays qui ne connaît pas la culture du compromis ? On peine à l’imaginer, d’autant plus que Marine Le Pen a déjà annoncé “le bourbier”. Les conséquences pour le reste du monde sont réelles. La fragilité intérieure du président de la République et la confusion de la situation actuelle affaiblissent sa capacité d’agir au plan international.»
Médias et observateurs européens replacent ces résultats français dans un contexte plus large. «Au bout du compte, la France et le Royaume-Uni ont voté contre l’extrême droite. Cela ne veut pas dire que la menace a disparu, mais il faut prêter attention aux électeurs du centre, du centre gauche, des verts et du centre droit qui détiennent toujours la majorité en Europe, partout sauf en Hongrie», souligne l’écrivaine américaine Anne Applebaum, fine connaisseuse de l’Europe centrale. «A Paris, l’enthousiasme, à Moscou, la déception, à Kyiv, le soulagement. Assez pour être heureux à Varsovie», résumait aussi le Premier ministre polonais, Donald Tusk, un des premiers dirigeants à réagir publiquement, en soulevant l’importante question du soutien à l’Ukraine.
«Vive la France !» a lancé, en français dans le texte, l’activiste ukrainienne Olena Halushka, de l’ONG Anticorruption Action Centre. Avant d’ajouter : «C’est tellement important : pour la France, pour l’Ukraine, pour l’Europe. Pour le monde démocratique et l’ordre fondé sur des règles.» Le chercheur américain Phillips P. O’Brien, spécialiste des questions de sécurité et observateur attentif de la guerre en Ukraine, relevait aussi : «Ce que les derniers jours ont révélé, c’est que le soutien européen à l’Ukraine restera fort. Les populistes qui font des courbettes à Poutine sont de nouveau sur la défensive.»