On s’attendait à une utilisation malveillante de l’intelligence artificielle en période électorale, pas forcément à celle-là. Habitué des encarts publicitaires anti-Trump, le Lincoln Project, a sorti vendredi 16 février dans la soirée sur X (ex-Twitter) une vidéo mettant en scène Fred Trump, père de Donald, insultant allègrement son fils. Une initiative déjà discutable, qui le devient encore plus quand on sait que l’homme est mort en 1999.
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«Donny, j’ai toujours su que tu raterais tout ce que tu entreprends» ; «J’ai honte que tu portes mon nom» ; «Tes enfants te détestent» : dans la vidéo, les phrases du genre se multiplient, lancées à la volée par le père du milliardaire ressuscité pour l’occasion, au visage animé et à la voix trafiquée grâce à l’IA pour rendre le tout réaliste. Le Lincoln Project – fondé par des républicains conservateurs anti-Trump – ironise sur sa publication, en estimant que «Donald» pourrait bénéficier de ces «quelques mots d’encouragement de la part de son père». Les images de Fred Trump sont entrecoupées de celles des casseroles du fils, comme une justification des propos paternels fictifs à l’encontre de l’ex-président. Ses derniers mots pourraient difficilement être plus blessants : «Ça fait trente ans que je suis mort, et tu me fais toujours honte.»
We thought Donald could use some words of encouragement from his father Fred, who was such a strong supporter of his career. Fred’s angry he handed over his empire to a son so “low-rent” he even lost money running a casino & will be lucky to keep his dumb ass out of prison. (AI) pic.twitter.com/5gXtKKHJmS
— The Lincoln Project (@ProjectLincoln) February 16, 2024
Une initiative questionnable, que le Lincoln Project explique dans sa vidéo : «Donald Trump nous a accusés d’utiliser l’IA dans nos publicités… Ok Donald.» Des accusations – à tort – dont l’organisation a donc décidé de se jouer, en assumant pleinement l’utilisation de l’IA dans une vidéo qui a depuis dépassé les trois millions de vues sur X (ex-Twitter). Enjeu légal ou volonté de marquer ce pied de nez, un bandeau atteste que le contenu a été «manipulé», et qu’il «dépeint des événements fictifs». Puis la publication se conclut sur une voix off et un message explicitant une fois de plus que la vidéo a bien été générée «totalement ou en partie par intelligence artificielle».
IA et désinformation en périodes d’élections
Si l’avènement de «deadbots», ces robots programmés pour imiter des proches disparus et supposément aider à faire son deuil, a déjà pu soulever des questions morales, choisir de faire parler un mort pour s’en prendre à un membre de sa famille témoigne d’un certain manque de tact. La vidéo du Lincoln Project n’a pas manqué de faire réagir en ligne, entre les adeptes de cet humour morbide – et prêts à tout pour se payer un Trump lui-même porté vers les communications immorales – et les défenseurs du républicain qui y voient un manque criant d’humanité. «Voilà une idée : et si on faisait une vidéo générée par IA dans laquelle le fils mort de Joe, Beau Biden, ridiculiserait son père ?» écrit l’un d’eux sur X.
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De quoi renouveler les craintes liées à l’utilisation de l’IA en période électorales, après les appels truqués imitant la voix de Joe Biden pour inciter des habitants du New Hampshire à ne pas aller voter lors de la primaire démocrate, fin janvier. Largement utilisés pour désinformer ou nuire à l’image d’un candidat au profit d’un autre – en dépolitisant au passage une campagne au profit d’attaques personnelles – les deepfakes inquiètent jusqu’aux géants du numérique et leurs régulateurs. Meta, Microsoft, Google, OpenAI, TikTok et X promettaient ainsi le 16 février de «déployer des technologies pour contrer les contenus nuisibles générés par l’IA», dans un texte dévoilé en marge de la grande conférence de Munich sur la sécurité. Une initiative plus que bienvenue dans une année 2024 où la moitié de la population mondiale sera concernée par un scrutin.