Au moins 164 morts, dont 103 à Almaty, capitale économique du pays : le bilan d’une semaine de manifestations et de répression au Kazakhstan est bien plus lourd qu’annoncé jusque-là. Samedi encore, les autorités faisaient état de 26 «criminels armés» tués et de plus d’un millier de blessés ainsi que de 16 tués et plus de 1 300 blessés parmi les forces de l’ordre. Et il s’agit toujours de chiffres officiels, difficilement vérifiables dans le pays totalement verrouillé. Internet coupé, aucun correspondant étranger sur le terrain, les seules sources d’information depuis le déclenchement d’une protestation sans précédent le 2 janvier sont kazakhstanaises ou russes.
Vladimir Poutine «remercié tout spécialement»
«Aujourd’hui, la situation est stabilisée dans toutes les régions», a affirmé le ministre de l’Intérieur, Erlan Turgumbayev, ajoutant toutefois que «l’opération de contre-terrorisme se poursuit pour rétablir l’ordre dans le pays». Près de 6 000 personnes ont été arrêtées et 125 enquêtes ouvertes sur les émeutes, a également indiqué le ministère de l’Intérieur. La répression de la contestation qui avait débuté dans le pays après l’augmentation des prix du gaz avant de s’étendre jusqu’à Almaty et dans toutes les grandes villes, est devenue de plus en plus féroce ces derniers jours. Refusant tout dialogue avec les manifestants, le président Kassym-Jomart Tokaïev avait déclaré vendredi qu’il autorisait ses forces à «tirer pour tuer». Le chef de l’Etat kazakhstanais se sentait renforcé après avoir fait appel à Moscou pour l’épauler à mater la contestation chez lui. L’intervention prompte des troupes russes sur le terrain a été décisive pour lui permettre d’imposer son pouvoir. L’envoi d’une «force collective de maintien de la paix pour protéger les installations étatiques et militaires» et aider les forces de l’ordre kazakhstanaises s’est fait dans le cadre de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) qui regroupe la Russie et cinq anciennes républiques soviétiques alliées. C’est la première action de l’OTSC depuis sa création il y a vingt ans.
Le président Tokaïev a tenu à «remercier tout spécialement» Vladimir Poutine lors d’une conversation téléphonique, samedi, a indiqué le Kremlin. Cet appel au soutien armé de la Russie est porteur d’implications politiques intérieures et extérieures pour le Kazakhstan. Car, outre les causes sociales, la contestation a visé la figure de l’ex-président Noursoultan Nazarbaïev, qui a régné d’une main de fer sur le Kazakhstan de 1989 à 2019 avant de céder la place à Tokaïev. Mais il était resté influent sur la scène à la tête d’une direction du Conseil de sécurité nationale, dont il vient d’être écarté. Le sort de cet ancien potentat reste incertain, tout autant que son rôle dans les récents troubles. Des signes pointent vers une lutte interne pour le pouvoir. L’arrestation pour «trahison» de l’ancien chef de l’agence nationale de la sécurité Kajymkanouli Massimov, limogé au lendemain des émeutes, en est le principal indicateur. Cet ancien Premier ministre est un proche de Nazarbaïev. Si ce dernier est sorti de son silence pour appeler la population à soutenir le gouvernement, Tokaïev s’est entre-temps mis sous la protection d’un autre autocrate, bien plus puissant : Vladimir Poutine.
Diversifier ses alliances
Sur le plan stratégique, les désordres internes au Kazakhstan renvoient le pays dans le giron de la Russie alors qu’il tentait de diversifier ses alliances notamment en se rapprochant de la Turquie et de la Chine ainsi que des Occidentaux. Les Etats-Unis ont estimé qu’il serait «très difficile» pour le Kazakhstan d’obtenir le départ des militaires russes, une critique que Moscou a qualifiée samedi de «grossière». A la veille de la réunion cruciale à Genève entre Américains et Russes pour parler de l’Ukraine et de l’Europe, Moscou a exclu toute discussion sur le Kazakhstan. «Cette question ne les regarde en rien», a balayé dimanche le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov.