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Controverse

L’Arabie Saoudite obtient l’Exposition universelle 2030 et une nouvelle victoire de soft power

Riyad a été désignée ce mardi 28 novembre pour organiser l’événement, au terme d’un vote l’opposant à Busan, en Corée du Sud, et à Rome, en Italie. La candidature saoudienne était pourtant critiquée sur les plans de l’environnement et des droits humains.
Ibrahim Al-Sultan, directeur général par intérim de la Commission royale de l’Arabie saoudite pour la ville de Riyad, à Issy-les-Moulineaux avant le vote du BIE, mardi 28 novembre 2023. (Geoffroy Van Der Hasselt /AFP)
publié le 28 novembre 2023 à 19h46

Un titre supplémentaire au palmarès des projets pharaoniques du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Riyad sera la ville hôte de l’Exposition universelle 2030, a annoncé ce mardi le Bureau international des expositions (BIE). La capitale de l’Arabie saoudite, à la candidature pourtant controversée, a largement devancé ses rivales italiennes et sud-coréennes, Busan et Rome.

A l’issue d’un vote à bulletin secret, Riyad s’est imposée en remportant 119 votes du jury, contre 29 pour Busan et 17 pour Rome. Pour cette édition 2030, les efforts en matière de lutte contre le réchauffement climatique et de préservation de l’environnement étaient scrutés de près. Pour l’événement aux dizaines de milliers de visiteurs, gage de prestige et de copieuses retombées économiques, la pétromonarchie a vanté «des paysages naturels de niveau mondial» et «la première exposition carbo-négative». «Cette exposition sera le catalyseur de la transformation» du Royaume, a voulu croire Dimitri Kerkentzes, secrétaire général du Bureau international des expositions, lors de la conférence de presse suivant le vote. Un vote qui représente «l’expression de la confiance de la communauté internationale», s’est félicité de son côté le ministre saoudien des Affaires étrangères, Faisal bin Farhan al Saoud.

De quoi faire bondir les défenseurs de l’environnement, l’Arabie Saoudite cumulant les records de premier exportateur de pétrole au monde et de l’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre par habitant – 672,38 millions de tonnes au total en 2022. La candidature de Riyad est du «greenwashing à grande échelle», cinglait le sociologue Patrick le Gallès, directeur de recherche au CNRS et à Sciences Po, pour qui ce genre d’événement sert avant tout à «valoriser les élites en place».

Bilan «épouvantable»

Afin de réduire sa dépendance à l’or noir, l’Arabie Saoudite mise depuis quelques années sur son soft power. La pétromonarchie investit massivement dans le tourisme et l’industrie, développant à tour de bras des projets pharaoniques dans le cadre du plan «Vision 2030»la mégalopole futuriste Neom est l’un des plus démesurés. La tenue de grands évènements sportifs et culturels est partie prenante de sa stratégie pour diversifier son économie. Après avoir raflé les Jeux asiatiques d’hiver de 2029, l’Arabie saoudite est d’ailleurs bien partie pour accueillir la Coupe du monde de football 2034, tout en lorgnant sur les Jeux olympiques 2036.

L’Expo 2030 est l’occasion parfaite pour redorer l’image du royaume à l’international. Depuis quelques années, le prince héritier Mohammed ben Salmane peine à effacer l’affaire Jamal Khashoggi, ce journaliste saoudien assassiné et démembré en 2018 dans le consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul. La piètre situation des droits humains dans son pays, les droits limités des femmes dans la société saoudienne et les accusations de crimes de guerre dans le conflit au Yémen entachent aussi lourdement la réputation de l’Arabie Saoudite, récemment fragilisée par la révélation de massacres de migrants à ses frontières. Le 21 novembre, quinze ONG de défense des droits humains avaient appelé le BIE à «ne pas voter» pour Riyad du fait de son «épouvantable» bilan en termes de droits humains.

L’Expo 2030 était l’objet depuis des mois d’un intense lobbying de la part des trois candidats. Lors de la présentation des dossiers, en juin dernier à Paris, au siège du BIE, le prince héritier d’Arabie Saoudite Mohammed ben Salmane, le président sud-coréen Yoon Suk-yeol et la Première ministre italienne Giorgia Meloni étaient présents pour défendre bec et ongles les projets verts et à forte valeur technologique de leurs pays.

Busan, rivale sérieuse de la compétition, avait été présentée par le chef d’Etat sud-coréen comme «la meilleure Exposition universelle de tous les temps», censée être bâtie sur un ancien port industriel transformé en «lieu de vie durable». A grand renfort de stars de cinéma et de la K-pop, sans compter les 150 taxis estampillés «Busan 2030» qui circulaient dans Paris, la Corée du Sud avait mis le paquet pour convaincre les membres du BIE.

«Se montrer au monde»

Rome avait été distancée par ses deux rivales faute d’une campagne aussi énergique. La capitale italienne aspirait pourtant à réitérer l’expérience de Milan, où l’Exposition universelle de 2015 avait attiré 20 millions de visiteurs et redonné un coup de fouet à la mégapole lombarde. En juin devant le Bureau international des expositions, la Première ministre Giorgia Meloni avait défendu les mérites du «plus grand parc solaire urbain au monde», qui devait être construit pour l’occasion.

Les expositions universelles se tiennent tous les cinq ans et durent au maximum six mois. Elles permettent au pays choisi de «se montrer au monde» tout en étant «un laboratoire pour les architectes», estimait en avril 2022 sur TV5 Monde Dimitri Kerkentzes, secrétaire général du BIE. La tour Eiffel, érigée à Paris à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, en est l’exemple le plus célèbre, tout comme l’Atomium et la Space Needle, icônes de Bruxelles et de Seattle, construites pour celles de 1958 et 1962. La dernière exposition, achevée à Dubaï en 2022, a enregistré 24 millions de visiteurs. Celle de 2025 se déroulera à Osaka, au Japon.