Combien d’actions en justice pour évincer le général tortionnaire présumé ? Une nouvelle plainte pour «torture» et «détention arbitraire» a été déposée ce lundi 27 novembre en Autriche contre le président émirati d’Interpol, Ahmed Nasser al-Raisi. L’inspecteur général du ministère de l’Intérieur des Emirats arabes unis est attendu à Vienne pour l’assemblée générale de l’Organisation internationale de police criminelle, qui se tiendra du mardi 28 novembre au vendredi 1er décembre.
Droits humains
Les deux plaignants, Matthew Hedges, universitaire spécialiste des Emirats arabes unis, et Ali Issa Ahmad, agent de sécurité, ont tous deux été arrêtés aux Emirats arabes unis, respectivement en 2018 et 2019, avant de subir selon eux des cas de torture. Les deux plaignants estiment qu’en tant qu’inspecteur général du ministère de l’Intérieur des Emirats arabes unis, Ahmed Nasser al-Raisi porte une responsabilité dans leur sort.
Le premier, enseignant à l’université d’Exeter au sud-ouest de l’Angleterre, avait été interpellé au terme d’un voyage d’études à Dubaï. Il a fait état de sept mois de détention «terrifiants», pour l’essentiel à l’isolement, avec «des menaces de violence» visant à lui faire avouer une prétendue appartenance aux services de renseignements britanniques. Après de «faux aveux» édictés sous la torture selon l’intéressé, Matthew Hedges avait été condamné à la prison à vie pour espionnage en novembre 2018, puis gracié moins d’une semaine plus tard sous la pression internationale.
Battu et poignardé
Le second, fan de football, affirme avoir été arrêté pour avoir porté un maillot en soutien au Qatar lors de la Coupe d’Asie des nations – avant la normalisation de leurs relations diplomatiques en juin dernier, les deux pétromonarchies étaient alors à couteaux tirés. Ali Issa Ahmad dit avoir été battu et poignardé par la police émiratie pendant ses quelque trois semaines de détention.
«Nous espérons que les autorités autrichiennes vont enquêter sur ces graves allégations», a déclaré maître Rodney Dixon, l’avocat des deux Britanniques à l’origine de la plainte. Alors que l’ambassade des Emirats arabes unis à Vienne n’a pas réagi dans l’immédiat, le parquet de la capitale autrichienne a confirmé la réception de la plainte, affirmant «l’étudier» notamment au regard de la «compétence de l’Autriche». La procédure s’appuie sur «la compétence universelle», principe qui permet aux autorités d’engager des poursuites si le suspect voyage dans le pays en question – des actions pénales ont également été engagées en Norvège, en Suède et en Turquie.
Décryptage
Egalement saisie par l’avocat des deux Britanniques, la France, où se trouve le siège d’Interpol, a ouvert en mars 2022 une enquête à son encontre pour «torture» et «actes de barbarie». A l’origine de cette enquête, une plainte déposée par l’ONG Gulf Centre for Human rights (GCHR). Celle-ci accuse Al-Raisi d’être l’un des responsables de tortures visant Ahmed Mansoor, l’un des principaux défenseurs des droits de l’homme dans les Emirats, ce dont s’est toujours défendu le gouvernement. En prison depuis 2017, l’opposant a été condamné à dix ans de prison en 2018 pour avoir, selon les autorités, critiqué le pouvoir émirati et terni l’image de son pays sur les réseaux sociaux.
En novembre 2021, alors qu’il avait déjà été visé par deux plaintes pour faits de torture, Ahmed Nasser al-Raisi avait été élu sans trop d’encombres à la tête de l’agence qui regroupe les services de police de 195 pays, une fonction essentiellement honorifique. Durant plusieurs semaines, des organisations de défense des droits humains s’étaient mobilisées contre sa candidature. «Sous sa direction, ses services se sont rendus responsables de détentions arbitraires et d’actes de torture répétés et systématiques infligés aux prisonniers d’opinion et défenseurs des droits humains, en toute impunité», avaient alors affirmé dans une lettre ouverte plusieurs ONG, dont la Ligue des droits de l’homme et la Fédération internationale pour les droits humains.