Une première depuis 2019. La commission Madagascar-France sur les îles Eparses se réunira à Paris le 30 juin, ont annoncé ce mercredi 23 avril les deux pays à l’occasion de la visite d’Emmanuel Macron à Antananarivo, la capitale. Une rencontre décidée d’un «commun accord», selon le président malgache, Andry Rajoelina, qui y voit l’espoir de «trouver ensemble une solution».
La commission bilatérale franco-malgache, créée spécifiquement pour évoquer l’avenir des îles Eparses, ne s’était pas réunie depuis novembre 2019. Selon Emmanuel Macron, cette nouvelle entrevue sera ainsi l’occasion d’«ouvrir des perspectives communes de développement et de coopération».
L’enjeu est de taille : depuis des décennies, les deux pays se disputent la souveraineté de ce territoire microscopique et inhabité de l’océan indien, situé au large de Madagascar et à proximité d’immenses gisements gaziers. Alors que les gouvernements malgaches successifs n’ont eu de cesse de réclamer la rétrocession de ces îles depuis les années 70, les dirigeants français n’ont jamais cédé. Souveraineté, décolonisation, ressources en hydrocarbures… Christiane Rafidinarivo, politologue et chercheuse associée au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), retrace auprès de Libération les origines de ce désaccord et les raisons pour lesquelles ce territoire est convoité encore aujourd’hui.
La commission franco-malgache autour des îles Eparses se réunit pour la première fois depuis 2019. Que représente cette annonce ?
Pour comprendre l’intérêt de cette réunion, il faut connaître la genèse du désaccord entre les gouvernements français et malgaches. Le processus de décolonisation à Madagascar a été entamé en 1958, jusqu’à ce que l’indépendance soit proclamée le 26 juin 1960. Mais quelques mois plus tôt, la France avait décrété le rattachement des îles Eparses au ministère des Outre-mer. Au moment de la signature du traité d’indépendance, la France a donc estimé que ces îles restaient les siennes. Les dirigeants malgaches ont commencé à réclamer le retour de l’archipel dans leur territoire national dans les années 70, sans jamais abandonner.
En 2019, une commission franco-malgache avait été créée pour travailler sur ce sujet. La première réunion, qui s’était tenue en novembre de cette même année, n’avait rien donné. C’est donc la première fois, depuis plus de cinq ans, qu’une rencontre est prévue. Les attentes sont grandes, pour un dossier vieux de plusieurs décennies.
Analyse
Pour Madagascar, récupérer les îles Eparses, c’est aussi achever la décolonisation entamée en 1958. Mais du côté de la France, la posture a toujours été de dire qu’il s’agissait d’un territoire français, point à la ligne.
Pourquoi ces îles sont-elles si convoitées ?
Dans les années 1960, le Général De Gaulle avait justifié l’intérêt de la France pour les îles Eparses par le besoin de faire des essais nucléaires sur ces territoires inhabités, ce qui n’a jamais eu lieu. En réalité, elles sont aussi situées à un emplacement stratégique : sur le canal du Mozambique, considéré aujourd’hui comme un carrefour commercial mondial potentiel pour le marché d’hydrocarbures. Raison pour laquelle la France ne veut pas céder ces îles.
Les convoitises se sont encore accentuées en 2012, quand un immense gisement gazier a été découvert dans le canal du Mozambique, de la même ampleur que celui du golfe persique ou de la mer du Nord. En raison de son emplacement [en vertu du droit de la mer, les îles Eparses donnent le contrôle d’une zone économique exclusive de 640 000 km² étalée sur plus de la moitié du canal du Mozambique si une frontière maritime était reconnue, ndlr], l’archipel est donc devenu une zone extrêmement lucrative.
Pour Madagascar comme pour la France, il y a donc une volonté de profiter des ressources gazières de ce territoire, que chacun considère comme étant les siennes.
Que peut-on attendre de la réunion prévue le 30 juin ?
En 1979, les Nations unies avaient adopté une résolution demandant au gouvernement français d’entamer la rétrocession des îles, «séparées arbitrairement de Madagascar». Mais celle-ci n’est pas contraignante et la France ne l’a pas suivie. La posture nationale n’a jamais évolué et il est plus qu’improbable que cela arrive.
En revanche, peut-être les deux pays vont-ils identifier des intérêts communs ? Madagascar souhaite exploiter ces réserves d’hydrocarbures, mais manque de moyens technologiques et économiques pour le faire, et n’a pas les moyens de les protéger d’un point de vue militaire.
La France, elle, en est capable. Si la loi de 2017 interdit la délivrance de nouveaux permis de recherche ou d’exploitation d’hydrocarbures, cela n’empêche pas le pays de voir un intérêt à garder la main sur ces ressources. Avec Madagascar, ils pourraient donc potentiellement s’entendre autour d’une protection commune de cette zone dans un premier temps.