Menu
Libération
Manipulations de l'information

Les JO de Paris visés par une campagne d’influence en ligne liée à l’Azerbaïdjan

Publiée et largement relayée cet été, une vidéo appelant au boycott des Jeux de 2024 avait éveillé les soupçons. Après enquête, le service de cybervigilance Viginum conclut à une «ingérence numérique étrangère», où plane l’ombre du pays d’Asie centrale.

Le logo des Jeux olympiques devant l'Hôtel de ville de Paris, en mai 2022. (Magali Cohen /Hans Lucas / AFP)
Publié le 14/11/2023 à 10h56

Plus de sept millions de vues, 15 000 retweets, 25 000 likes : cet été, le média New York Insider s’est taillé un joli succès sur Twitter (devenu X) avec une vidéo critiquant la tenue en France des prochains Jeux Olympiques à Paris, à l’été 2024. Notamment parce que cette publication, datée du 27 juillet, a été relayée six jours plus tard par nombre d’internautes français, dont des figures publiques, comme l’eurodéputé d’extrême droite Gilbert Collard ou le député écolo Julien Bayou (qui a depuis supprimé son tweet). Avant que quelques journalistes ne s’interrogent sur l’étrange diffuseur : le site web du New York Insider, vieux d’à peine quelques semaines, hébergeait surtout des copier-coller d’articles de la presse américaine, plus quelques textes originaux consacrés à l’Azerbaïdjan… De quoi alimenter les soupçons de manipulation de l’information. Et c’est bien à cette conclusion qu’a abouti Viginum, le service de l’Etat chargé de détecter les ingérences numériques étrangères, dans un rapport daté du lundi 13 novembre.

Localisations sorties d’un traducteur automatique

D’après ce document, que plusieurs médias, dont Libération, ont pu consulter, cette opération d’influence a démarré le 26 juillet, avec la mise en ligne sur X de divers visuels accompagnés des hashtags #Paris2024 et #BoycottParis2024 : des images de violences urbaines ou des photos, plus neutres, de la capitale. Selon Viginum, plus de 1 600 messages ont alors été publiés par 91 comptes, pour certains très récents et présentant toutes les caractéristiques de «bots», soit des faux comptes. Une partie de ces profils contenait «au moins un lien avec l’Azerbaïdjan» : photo affichant le drapeau du pays, localisation affichée, caractères azéris dans les publications… D’autres incluaient des localisations françaises tout droit sorties d’un traducteur automatique («Monpelye» pour Montpellier).

Le lendemain, c’était au tour de la vidéo d’apparaître sur le réseau social : 39 secondes au cours desquelles alternent des images d’athlètes et d’autres montrant des affrontements entre des policiers et des manifestants ou des émeutiers, et même un court extrait de la vidéo amateur qui, fin juin, avait documenté le contrôle routier à l’issue duquel le jeune Nahel Merzouk, 17 ans, a été abattu par des policiers. Le tout se clôt, là encore, par les hashtags #Paris2024 et #BoycottParis2024. Or, le primo-diffuseur des visuels comme de la vidéo est un seul et même compte, @MuxtarYev, qui dit vivre en Azerbaïdjan. Viginum relève que «le nom affiché, Muxtar Nagıyev, ainsi que la photo de profil du compte, coïncident avec l’identité du président de l’organisation du district de Sabail du parti Nouvel Azerbaïdjan», la formation dont est issu le président du pays, Ilham Aliyev.

Faux médias spécialisés dans les copies

En remontant la piste du New York Insider, Viginum a découvert qu’étaient hébergés sur le même serveur plusieurs faux médias spécialisés dans les copies d’articles de médias sérieux, dont un certain France11 qui ne publie que des articles du Monde, à l’exception, là encore, de rares textes inédits sur l’Azerbaïdjan. Tous ces sites semblent liés de près à un certain Orkhan Rzayev, un Azerbaïdjanais à la tête d’une entreprise de marketing numérique, Mediamark Digital Agency.

Cette opération de manipulation de l’information, baptisée «Olimpiya» par Viginum, vise selon l’agence à «porter atteinte à la réputation de la France dans sa capacité à accueillir les Jeux Olympiques de Paris 2024». Elle s’est déployée dans un contexte de fortes tensions diplomatiques : depuis plusieurs mois, la France est engagée dans une médiation entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, en conflit depuis trente ans, et affiche son soutien à la seconde, qui redoute que son voisin n’attente à son intégrité territoriale. La finalisation du rapport de Viginum intervient alors que Bakou a remporté fin septembre une victoire éclair dans le Haut-Karabakh, et que Paris a annoncé début octobre la vente à Erevan d’armements défensifs.

«Viginum estime que la campagne Olimpiya est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation», peut-on lire dans le rapport. Pour autant, au-delà du faisceau d’indices et de la galaxie de faux sites liés à Orkhan Rzayev, aucun lien formel n’a été établi entre cette opération et les autorités azerbaïdjanaises – auxquelles, selon nos informations, Paris a tout de même demandé quelques éclaircissements. Sur X, quatre mois après l’émergence des premiers soupçons d’ingérence, le compte du prétendu New York Insider est toujours en ligne, de même que la vidéo aux 7 millions de vues.