L’unique responsable arabe à s’être rendu sur le terrain à Gaza depuis le début de la guerre est une femme qatarie. Lolwah al-Khater, ministre d’Etat à la Coopération internationale, a passé quelques jours sur place pendant la trêve négociée par son pays du 24 novembre au 1er décembre. Chargée du volet humanitaire de l’accord d’échange d’otages et de prisonniers, elle a veillé au bon déroulement du passage de centaines de camions d’aide qatarie et internationale pour la population, à travers le poste-frontière de Rafah. Une visite peu remarquée à l’international mais largement relayée par les médias arabes, et par l’intéressée elle-même sur les réseaux sociaux.
Dans les multiples reportages et vidéos diffusées de sa tournée, la jeune ministre a endossé un gilet aux couleurs de «la commission qatarie pour la reconstruction de Gaza» par-dessus sa traditionnelle abaya noire. Gabarit d’adolescente menue et visage enfantin encadré d’un voile enroulé autour de sa tête, Lolwah al-Khater sourit aux enfants, parle à leurs parents, partage une galette de pain qu’une femme vient de cuire sur un réchaud dans la rue et rend visite aux blessés à l’hôpital. Elle rencontre le journaliste vedette d’Al-Jazeera à Gaza, Wael al-Dahdouh, qui a perdu sa femme et deux de ses enfants dans un bombardement, un jeune artiste handicapé dont la maison a été détruite et les équipes médicales débordées par les urgences et les pénuries.
Anglais irréprochable
«Je suis venue porter un message de solidarité et de fraternité de l’Etat du Qatar à l’intérieur du territoire de Gaza et auprès de sa population pour vous dire que la justice, l’humanité et la raison sont de votre côté», déclame Lolwah al-Khater face caméra. Son propos est émaillé de formules religieuses, comme ses publications sur les réseaux sociaux qui commencent par des versets du Coran. En représentante convaincue de la ligne de son pays, celle qui a été la porte-parole du ministère des Affaires étrangères entre 2017 et 2019, met en avant en toute occasion l’attachement du Qatar à son «héritage islamique et arabe».
Recevant un groupe de journalistes européens, dont Libération, à Doha en 2019, Lolwah al-Khater, répondait toujours avec un sourire convenu aux questions dans l’anglais irréprochable d’une diplômée de l’Imperial College de Londres. Le moment était doublement délicat pour le Qatar, sous blocus par ses voisins arabes depuis deux ans et en pleine controverse sur les soupçons de corruption autour de l’attribution de la Coupe du monde de foot 2022 et sur le traitement des travailleurs étrangers. Ni langue de bois ni franc-parler pour autant, la porte-parole de la diplomatie qatarie minimise alors les problèmes et dévie souvent la discussion sur le rôle de médiateur de son pays «pour la paix et la sécurité mondiales».
Chronologie
Dévotion totale
Dans l’émirat champion du soft power diplomatique, culturel ou sportif, la place des femmes n’est pas particulièrement exposée. Celles-ci comptent pour 60 % des diplômés de l’enseignement supérieur et 52 % des emplois, aime à rappeler Lolwah al-Khater, qui occupe avec une dévotion totale l’un des plus hauts postes attribués à une femme. «Elle a épousé sa fonction et habite son bureau jusqu’à seize heures par jour», évoque un proche de la ministre. En effet, difficile de trouver la moindre indication sur sa vie personnelle. «Elle n’en a pratiquement pas», précise la même source. Sa fiche Wikipédia, sans doute bien maîtrisée, détaille son parcours universitaire et professionnel mais ne signale même pas la date de naissance ou le statut personnel de celle qui doit avoir autour de 40 ans.
Pour sa rare sortie sur le terrain à Gaza, l’ancienne chercheuse, femme de dossiers et de bureau, a toutefois très bien assuré la communication de sa tournée humanitaire. Depuis son retour au Qatar et alors que les hostilités ont repris avec une violence renouvelée, elle poursuit son œuvre pour les Gazaouis en accueillant à Doha des «frères palestiniens» blessés graves et handicapés pour être soignés. Et ce, «grâce à l’initiative de sa Majesté le Prince du Qatar, répondant au devoir religieux, national et humain», comme le formule sur X (anciennement Twitter) la Qatarie dévouée.