Imaginons la tête interloquée de Karim Benzema ou N’Golo Kanté dans le vestiaire du stade iranien de Naghsh-e-Jahan lundi 2 octobre, quand on leur a appris l’annulation du match qu’ils devaient jouer avec leur équipe saoudienne Al-Ittihad contre le club de Sepahan en Ligue des champions asiatique. Imaginons le dialogue entre les deux internationaux français et les responsables de leurs clubs qui tentaient de leur expliquer ce qu’il se passait.
«— Mais pourquoi ?
— En raison de la présence sur le terrain “d’éléments politiques qui n’ont rien à voir avec le football”
— Comme quoi ?
— Des bustes de Qassem Soleimani installés sur la pelouse.
— C’est qui, ça ?
— L’ancien chef des Gardiens de la révolution iraniens, responsable de guerres et de morts dans tous les pays arabes.
— Et il est où là ?
— Il a été tué dans un raid américain en 2020 à l’aéroport de Bagdad.
— Mais vas-y là !»
Les contrats mirobolants que les deux champions français ont signés il y a quelques mois avec le club saoudien de Djedda n’incluaient apparemment aucune clause de sensibilisation à la géopolitique régionale. Il suffisait de comprendre les ambitions du royaume saoudien de se hisser au rang de grande nation du foot mondial. Qui, à cet effet, renforçait ses équipes par des investissements massifs, notamment en achetant les joueurs les plus forts, aux prix les plus forts.
Polémiques relancées entre Saoudiens et Iraniens
Lundi soir, les joueurs d’Al-Ittihad n’ont pas foulé le terrain où les attendaient 60 000 de spectateurs installés dans le stade Naghsh-e-Jahan, dans une ambiance festive, lançant des petits feux d’artifice pour chauffer l’atmosphère avant le début du match. Mais le coup d’envoi n’a finalement pas été donné. Après de longues minutes de flottement, de tensions, de négociations et d’incompréhension, les responsables iraniens ont refusé de retirer les bustes de Qassem Soleimani faisant face aux tribunes. Le coup de sifflet final a résonné avant le début du match. Et les joueurs de l’équipe saoudienne ont pris la route de l’aéroport et un vol de retour à Djedda.
La Confédération asiatique de football (AFC) a officialisé l’annulation de la rencontre, «en raison de circonstances imprévues et imprévisibles», et annoncé que l’incident allait désormais être traité par les commissions compétentes. Mais Saoudiens et Iraniens n’ont pas attendu les délibérations pour polémiquer. Les deux grands rivaux du Golfe qui ont entériné un rapprochement historique avec une médiation de la Chine en mars, échangeant ambassadeurs et entamant des collaborations, ont repris les hostilités à l’occasion d’un match de foot.
Provocation des Iraniens
«Un club de football iranien a tenté d’utiliser un match contre des adversaires saoudiens à des fins de propagande politique», considère le site saoudien en français Arab News. Le personnel et certains joueurs ont remarqué les bustes de Qassem Soleimani et les banderoles lors d’une première inspection du terrain et ont signalé le problème à l’arbitre et aux observateurs de la Confédération asiatique. Les règles de l’AFC proscrivent l’utilisation des matchs pour promouvoir un message politique. Les représentants de la confédération ont demandé aux responsables de Sepahan de retirer la propagande offensante, mais ces derniers ont refusé.
Côté iranien, la provocation est évidente. Et même si, comme le clament les médias officiels de la république islamique, «les bustes de Qassem Soleimani sont installés dans le stade depuis quatre ans», face à une équipe saoudienne, il n’y avait aucune chance que cela se passe bien. Le directeur exécutif du club Sepahan a annoncé qu’il allait porter plainte auprès de l’AFC contre Al-Ittihad pour avoir «soulevé une demande hors du champ sportif et contre les principes prévus», et s’était retiré du jeu. Il a déclaré que tout avait été organisé depuis des semaines pour que ce match se déroule selon les critères du championnat asiatique et que le stade avait été agréé par la Fifa depuis plus de deux ans. «Ils ont encore peur de ta statue bénite, Qassem Soleimani», raillent les Iraniens sur les réseaux sociaux.
«Le public iranien caillasse Soleimani après l’annulation du match» titre de son côté la chaîne d’information saoudienne Al-Ekhbarïa, qui rapporte par ailleurs que les supporteurs du club d’Ispahan auraient protesté en lançant : «Nous ne voulons pas de politique dans le foot !» Une revendication reprise par le chef de la diplomatie iranienne Hossen Amir-Abdollahian, mercredi 4 octobre, dans une allocution destinée à apaiser les tensions : «Le ministre des Affaires étrangères d’Arabie saoudite et moi avons été en contact. Les relations entre Téhéran et Ryad avancent dans la bonne direction et nous ne devrions pas permettre que le sport devienne un levier politique entre les mains de l’un ou l’autre camp.»
De quoi éteindre le vieux débat et que Karim Benzema et N’Golo Kanté doivent désormais intégrer ?
Mise à jour mercredi 4 octobre après la déclaration du ministre iranien des Affaires étrangères