«La prochaine étape pourrait être une unité de soins intensifs». L’état de santé de l’ex-président géorgien Mikheïl Saakachvili ne fait que s’aggraver depuis son emprisonnement, consécutif à son retour dans le pays en octobre 2021. «L’état du patient devient grave, et la tendance va à l’aggravation car son poids et sa masse corporelle sont extrêmement bas», signale sa médecin traitante, Tamar Davarachvili, ce mercredi.
Depuis le mois d’octobre 2021, Mikheïl Saakachvili a enchaîné plusieurs grèves de la faim pour protester contre son incarcération pour «abus de pouvoir». L’ex-président «pèse désormais seulement 67 kg, est extrêmement affaibli, alité, ressent des douleurs aux extrémités», a souligné sa médecin. Il pesait 115 kg avant son arrestation en octobre 2021, a rappelé son avocat Dito Sadzaglichvili. Début décembre 2022, des médecins américains avaient examiné l’ancien chef de l’Etat et noté «la présence de métaux lourds» dans son organisme. Les symptômes de Saakachvili «sont le résultat d’un empoisonnement», d’après le toxicologue américain David Smith.
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Il purge une peine de six ans de prison suite à sa condamnation par contumace en 2018, lors d’un procès que Mikheïl Saakachvili juge «politique» et qu’il qualifiait de «farce» auprès de Libération. Il purge aujourd’hui sa peine depuis l’hôpital, où il a été transféré en raison de son état de santé. En décembre dernier, il était apparu affaibli, soutenu par un oreiller posé dans son dos, les mains tremblantes et les cheveux autrefois noir de jais devenus gris. Âgé de 55 ans, l’homme au parcours mouvementé était pourtant connu pour sa stature imposante et son autorité dans l’ex-république soviétique du Caucase, qu’il a dirigée de 2004 à 2013.
Héros de la révolution des Roses
Dirigeant charismatique et pro-occidental, Mikheïl Saakachvili est un véritable animal politique. Né en Géorgie, il quitte le pays pour ses études, d’abord à Strasbourg puis aux Etats-Unis. Il commence sa carrière dans un cabinet d’avocat de New York, avant d’être approché par un allié du président géorgien alors au pouvoir, Edouard Chevardnadze. Il rentre à Tbilissi en 1995, devient député puis ministre de la Justice. Mikheïl Saakachvili fait de la lutte anticorruption l’une de ses priorités, mais ne s’estime pas assez soutenu dans son combat. Il démissionne avec fracas en septembre 2001 et fonde son propre parti, le Mouvement national uni (MNU), qui devient le principal parti d’opposition.
L’année suivante, il est élu à la présidence de l’Assemblée de Tbilissi. Il appelle à la démission du président et à la condamnation des fonctionnaires corrompus. En 2003, Mikheïl Saakachvili se place encore un peu plus dans l’opposition. Après les législatives du mois de novembre, teintées de fraudes électorales, il prend la tête du mouvement de contestation populaire et pacifique contre le pouvoir en place. Véritable héros de cette révolution des Roses, il parvient à chasser le président Edouard Chevardnadze du pouvoir et à prendre les rênes du pays en 2004.
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Elu avec plus de 96 % des voix lors des élections, le profil de Mikheïl Saakachvili dénote par rapport aux dirigeants de ce pays d’à peine 4 millions d’habitants. Pro-européen et contre la corruption, il cherche à se détacher de la Russie et fait tout pour restaurer l’intégrité territoriale de la Géorgie. Mais l’homme est tout aussi populaire que controversé. Mikheïl Saakachvili est aussi connu pour son autoritarisme, ses pressions envers les médias et la répression des oppositions. Il est tout de même réélu en 2008 avec 53 % des voix dès le premier tour.
Exilé et apatride
La même année, une guerre éclate avec la Russie dans les provinces séparatistes d’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Le conflit se termine par la déclaration d’indépendance des deux régions du nord du pays. La réputation déjà ternie par la guerre, Mikheïl Saakachvili perd encore de sa crédibilité au pouvoir dans les années suivantes. En 2012, juste avant les législatives d’octobre, des vidéos révélant de la torture dans les prisons sont publiées et achèvent de le discréditer. Le parti Rêve géorgien, fondé par le milliardaire pro-russe Bidzina Ivanichvili, grand rival de Mikheïl Saakachvili, remporte ces élections puis les présidentielles en 2013.
Avant même la fin de son mandat, Mikheïl Saakachvili quitte la Géorgie. En 2014, il pose ses valises en Ukraine, aux côtés de son ami alors au pouvoir Petro Porochenko. Il devient alors acteur de la vie politique ukrainienne, et finit par être nommé gouverneur de la région d’Odessa. Il renonce à sa nationalité géorgienne pour obtenir ce poste et ce second souffle politique. Là encore, il promet de combattre la corruption, mais ne parvient pas à s’imposer auprès des élites locales. Déchu, son ancien ami Petro Porochenko lui retire même sa nationalité ukrainienne. Mikheïl Saakachvili est apatride.
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Pendant ce temps, la justice géorgienne le condamne à six ans de prison pour «abus de pouvoir». Après huit années en exil, et une nationalité géorgienne retrouvée, l’ex-président rentre clandestinement dans le pays, juste avant un scrutin local crucial pour Rêve géorgien, toujours au pouvoir. Son parti MNU échoue face au Rêve géorgien, lui se fait arrêter. Depuis, sa santé s’aggrave et les appels à sa libération se multiplient.
«Vengeance politique apparente»
En octobre dernier, une manifestation rassemble 50 000 personnes sur la place de la Liberté à Tbilissi. Le même mois, le Conseil de l’Europe - organisme de défense des droits de l’Homme à l’échelle du continent européen, basé à Strasbourg et sans lien avec l’Union européenne - avait appelé à sa libération, le considérant comme un «prisonnier politique». L’ONG Amnesty International avait également qualifié le traitement qui lui est réservé de «vengeance politique apparente».
Encore mi-février, les députés européens avaient réclamé la fin de son incarcération. Dans une résolution, le Parlement européen avait fait part de ses «profondes inquiétudes quant à la détérioration de l’état de santé de Mikheïl Saakachvili». Les eurodéputés «prennent note des informations indiquant qu’il aurait pu subir un emprisonnement aux métaux lourds pendant sa détention» et réclament sa libération pour lui permettre de «recevoir un traitement médical approprié à l’étranger».
Les autorités géorgiennes ont assuré quant à elles que l’ancien dirigeant bénéficiait de tous les soins nécessaires. La présidente géorgienne, Salomé Zourabichvili, renvoyait même la responsabilité à la justice de son pays. Selon elle, c’est à la justice de décider s’il doit être remis en liberté pour des raisons de santé.