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2022, année meurtrière sur les routes migratoires du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord

Migrants, l'hécatombedossier
Près de 3 800 personnes «en situation de migration» sont mortes l’année dernière dans la région ou en tentant de la quitter, selon l’ONU. Il s’agit du bilan le plus élevé depuis 2017.
Des exilés au large de Lampedusa en Italie, en août 2022. (Jeremias Gonzalez/AP)
publié le 14 juin 2023 à 18h57

C’est une triste coïncidence : mardi 13 juin, veille du naufrage d’un navire de pêche qui a coûté la vie à au moins 78 migrants au large de la Grèce, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) alertait dans un rapport sur l’augmentation du nombre de morts sur les routes migratoires du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. En 2022, indique l’agence onusienne, 3 789 personnes «en situation de migration» ont péri après avoir tenté de quitter la région, ou en passant par celle-ci, soit 11 % de plus qu’en 2021 et plus de 55 % de l’ensemble des décès de migrants comptabilisés dans le monde en 2022. Il s’agit du pire bilan depuis 2017, quand 4 255 morts avaient été recensées. L’OIM ajoute que «la rareté des données officielles et l’accès limité aux routes terrestres pour la société civile et les organisations internationales suggèrent que le nombre réel de décès […] est probablement beaucoup plus élevé que ce qui est rapporté».

«Trajets toujours plus longs et dangereux»

Sans surprise, la traversée de la mer Méditerranée, où plus de 2 400 personnes se sont noyées en 2022 (là encore, un niveau inédit depuis 2017), est la plus meurtrière. Plus précisément, c’est la route méditerranéenne centrale, qui relie l’Afrique du Nord à l’Italie, qui paye le plus lourd tribut : au moins 1 400 morts, dont plus de 800 près des côtes libyennes. Plus de 600 personnes ont également perdu la vie sur la route occidentale, point de passage entre l’Afrique du Nord et l’Espagne, et près de 400 autres sur la route orientale, empruntée notamment par des Syriens, des Irakiens et des Afghans cherchant à rejoindre la Grèce ou la Bulgarie depuis la Turquie. L’OIM déplore également plusieurs centaines de décès lors de migrations internes à la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, notamment sur le chemin du Yémen et de l’Arabie Saoudite, où près de 800 personnes originaires d’Afrique de l’Est auraient péri en tentant d’atteindre les pays du Golfe.

Les auteurs du rapport ne présentent pas d’hypothèse pour expliquer l’augmentation du nombre de morts. Depuis plusieurs années, cependant, chercheurs et ONG alertent sur les dangers de la surveillance croissante des frontières extérieures de l’Union européenne, qui pousse les migrants à prendre davantage de risques. «Les personnes migrent de plus en plus clandestinement, lors de trajets toujours plus longs et dangereux […]. Depuis trente ans, chaque inflation sécuritaire sur les frontières a conduit à une augmentation du nombre de morts», expliquait ainsi le sociologue Mehdi Alioua, professeur associé de l’Université internationale de Rabat, dans un entretien à Libération en janvier 2022. «La mise en place de voies d’accès sûres et régulières est la solution adéquate pour mettre fin aux décès de migrants», confirme dans son rapport l’OIM, qui déplore des «tragédies évitables».

«Une attention immédiate et des efforts concertés»

Pour le directeur de l’agence pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, Othman Belbeisi, les chiffres présentés mardi exigent «une attention immédiate et des efforts concertés pour renforcer la sécurité et la protection des migrants», «une coopération internationale et régionale accrue» et «des ressources pour faire face à cette crise humanitaire et prévenir d’autres pertes de vies». Force est de constater, malheureusement, que 2023 n’a pas commencé sur la bonne pente : mi-avril, l’OIM révélait que le premier trimestre de cette année avait été le plus meurtrier depuis 2017 pour les migrants qui tentent de joindre l’Europe en traversant la Méditerranée, avec au moins 441 décès. C’était avant le naufrage dramatique de ce mercredi.