Menu
Libération
Liberté de la presse

A Gaza, le journaliste Roshdi Sarraj tué par un bombardement israélien

Guerre au Proche-Orientdossier
Le reporter et photographe palestinien de 31 ans travaillait notamment pour Radio France. Sa mort s’inscrit dans un contexte de «black-out médiatique» imposé par Israël et dénoncé cette semaine par Reporters sans frontières.
Le journaliste Roshdi Sarraj a été tué dans un bombardement israélien dimanche 22 octobre. (Instagram de Roshdi Sarraj)
publié le 22 octobre 2023 à 19h43

Il est devenu, malgré lui, l’un des visages de la guerre sanglante entre Israël et le Hamas. De ceux, rares parmi les milliers de victimes anonymes à Gaza, dont on parvient à raconter l’histoire, témoigner de la vie et relater la mort, car des confrères ont eu la chance de le connaître. Le journaliste, photographe et réalisateur palestinien Roshdi Sarraj, 31 ans, est mort dimanche 22 octobre dans un bombardement israélien sur la ville de Gaza. Depuis plus de deux ans, il travaillait notamment pour nos collègues de Radio France comme «fixeur». Les fixeurs, ces irremplaçables petites mains des grands reporters, à la fois mines de contacts locaux, traducteurs, éclaireurs. «Celui qui conseille, guide, oriente, traduit, donne le tempo, évalue le danger, soupèse les interlocuteurs», résumait Christophe Ayad dans Libé en 2005. A propos, à l’époque, de Hussein Hanoun al-Saadi, le guide-interprète de Florence Aubenas, pris en otage avec elle à Bagdad.

Né à Londres, Roshdi Sarraj était «extrêmement gentil, très flegmatique, avec un accent britannique très doux», se souvient avec émotion Frédéric Métézeau, correspondant de Radio France à Jérusalem de 2019 à l’été 2023, qui a réalisé avec lui des dizaines de reportages dans la bande de Gaza. «On n’était pas de la même génération, mais comme beaucoup de Palestiniens, Roshdi donnait le sentiment d’avoir grandi plus vite. Il était déjà extrêmement mature professionnellement, très précis, très organisé, ajoute le journaliste de 48 ans. Il avait les deux pieds dans Gaza mais était capable de beaucoup de prise de hauteur par rapport à l’interminable conflit israélo-palestinien.»

«Courageux jusqu’au bout»

Photoreporter à l’origine, Roshdi Sarraj avait fondé, avec son épouse et plusieurs amis, l’agence de presse Ain Media, qui publiait des photos, réalisait des séquences documentaires, notamment pour Netflix, et offrait des services de «fixing» pour les journalistes étrangers. Dans une série de messages poignants postés sur Twitter (renommé X), la reporter Alice Froussard, ancienne correspondante de Radio France et Libé à Jérusalem, a rendu hommage à son «ami», «celui sans qui je n’étais rien là-bas», à Gaza.

Depuis l’attaque sanglante du Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre, et le début des incessants bombardements israéliens sur l’enclave palestinienne, Frédéric Métézeau était en contact quasi-quotidien avec le journaliste trentenaire et son épouse, Shrouq, parents d’une petite fille de moins d’un an, Dania. Toutes deux ont été blessées dans le raid qui a tué Roshdi Sarraj, et leur état de santé reste inconnu. «Il ne voulait pas quitter le nord de la bande de Gaza. Il ne voulait pas non plus de corridor humanitaire pour se rendre en Egypte. Sa famille avait fui Jaffa en 1948 et il ne voulait pas d’une deuxième Nakba», raconte Frédéric Métézeau. Qui partage un message écrit il y a quelques jours par la femme de Roshdi : «La seule chose que tu puisses faire pour nous, c’est prier. Si on meurt, ne sois pas triste, sache qu’on aura été courageux jusqu’au bout.»

Avec la mort de Roshdi Sarraj, c’est une source fiable d’information à Gaza qui disparaît. Une de plus, alors que l’organisation Reporters sans frontières a dénombré, au cours de la semaine ayant suivi l’attaque du 7 octobre, la mort de dix journalistes dans l’exercice de leur métier, dont huit à Gaza. Parmi eux se trouvait un collègue et ami de Roshdi Sarraj, Ibrahim Lafi, membre de la société de production Ain Media. Neuf autres journalistes au moins ont trouvé la mort à leurs domiciles à la suite de frappes israéliennes, ajoute RSF, qui accuse l’Etat hébreu de chercher à imposer un «véritable black-out médiatique» dans l’enclave palestinienne, où il prépare une offensive terrestre.

«Nous essayons de résister et de continuer notre travail»

«Journalistes tués ou blessés, rédactions détruites, coupures d’Internet et menace de censure de la chaîne internationale Al Jazeera : Israël étouffe progressivement depuis près de deux semaines l’information dans la bande de Gaza»‚ dénonçait vendredi l’organisation. Malgré ces obstacles, la menace constante des frappes, le temps passé à chercher de l’eau ou de la nourriture, Roshdi Sarraj aura pris à cœur sa mission jusqu’au bout, continuant de documenter la situation. «Il y a un manque de couverture médiatique depuis Gaza, en raison de l’assassinat de plus de douze journalistes, les bombardements et les coupures d’électricité et d’internet. Cependant, nous essayons de résister et de continuer notre travail pour que le monde puisse voir les crimes israéliens à Gaza», écrivait-il mardi sur Twitter.

Chez ceux qui l’ont côtoyé, tristesse et colère se mélangent. «Roshdi était journaliste et il racontait l’horreur sur place, celle qu’on ne veut pas regarder dans les yeux, martèle Alice Froussard. Il était celui qui nous informait en premier, celui qui risquait sa vie pour ça, au moment où personne ne peut entrer.» Face à ce blocus médiatique, «les victimes de Gaza sont trop souvent réduites à un décompte numérique», relève Frédéric Métézeau, pour qui témoigner de Roshdi Sarraj permet aussi de «donner un visage» au huis clos dramatique de l’enclave palestinienne. L’ancien correspondant à Jérusalem dit avoir reçu une dizaine de messages de soutien et de condoléances de la part d’amis israéliens : «Cela montre, heureusement, que la solidarité et la compassion peuvent aller au-delà des frontières et des drapeaux.»