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Libération
Représailles

A la frontière libano-israélienne, une montée des tensions fait craindre l’embrasement

Répondant à une salve de roquettes du Hezbollah qui a tué une jeune militaire, Israël a mené ce mercredi 14 février des frappes d’une rare violence dans le Sud-Liban, où les civils redoutent que le conflit ne devienne incontrôlable.
A Safed, dans le nord d'Israël, près du point d'impact d'une roquette lancée depuis le Sud-Liban, ce mercredi 14 février. (Jalaa Marey/AFP)
par Arthur Sarradin, correspondant à Beyrouth
publié le 14 février 2024 à 20h15

«On est rentrés se barricader chez nous, car on a cru que tout le pays allait basculer dans la guerre», avoue Mohammad, habitant de Nabatieh, dans le Sud-Liban. Ce mercredi 14 février dans l’après-midi, l’homme de 28 ans a fui une vaste série de raids menée par l’armée israélienne dans la région. Plus tôt dans la matinée, une salve de roquettes en provenance du Liban avait frappé le nord d’Israël, touchant notamment une base militaire. Une soldate de 20 ans a été tuée dans l’attaque, qui a également fait huit blessés. «C’est la guerre», a tonné l’ultranationaliste ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir.

En une heure à peine de représailles, l’aviation israélienne a bombardé plus d’une demi-douzaine de localités libanaises, expliquant cibler des postes de commandement du Hezbollah. Durant cette opération d’ampleur inédite, les frappes ont touché en profondeur les territoires. Tony, étudiant, raconte avoir entendu une explosion depuis Jezzine, une ville perchée dans les montagnes du Chouf, à une vingtaine de kilomètres pourtant de la frontière : «On aurait dit comme un tremblement de terre, c’est la première fois qu’un village est pris pour cible ici.» Deux heures plus tard, l’aviation israélienne survolait encore la région, jusque-là épargnée par les échanges de tirs entre Tsahal et le Hezbollah. La milice chiite vise depuis le 8 octobre le nord d’Israël, en soutien à ses alliés du Hamas.

«On le paye de nos maisons ou de nos vies»

«Nous étions sur le chemin de Hadchit, raconte Mohammad. On a failli sortir de la route après l’explosion. Ils ont frappé un quartier, c’était chaotique.» Quelques kilomètres plus loin, à Souaneh, la défense civile libanaise a retrouvé la dépouille d’une femme et de ses deux fils. Dont un enfant de 2 ans. Un combattant du mouvement islamiste a été tué dans un autre village, selon l’Agence nationale d’information (ANI, officielle).

Dans la voiture avec Mohammad, Imane s’interroge : «Je ne sais pas ce que le Hezbollah a touché de l’autre côté de la frontière. Mais ça a l’air assez important pour qu’on ait droit à une si grosse attaque. Et on le paye de nos maisons ou de nos vies.» Depuis plus de quatre mois, les épisodes de tensions se multiplient dans le sud du Liban, et la région s’est en partie vidée de sa population. Les Libanais, chez qui persiste le souvenir de l’occupation israélienne, craignent toujours une invasion terrestre, dont les récentes poussées de fièvre à la frontière ravivent le spectre.

«Le conflit peut basculer à tout moment»

Côté diplomatique, l’escalade inquiète. «Les Israéliens commencent à s’impatienter sur les négociations», explique une source diplomatique étrangère. D’après elle, Israël menacerait d’une opération terrestre si les négociations n’aboutissent pas dans le mois à venir. «D’ici là, le conflit peut basculer à tout moment, affirme une seconde source proche des pourparlers. L’escalade peut partir d’un incident et d’une réponse disproportionnée.»

Mardi 13 février, l’agence de presse Reuters rapportait l’existence d’un «plan français» pour mettre fin à l’escalade des tensions à la frontière entre Israël et le Liban. Ce dernier prévoirait un cessez-le-feu, le retrait du Hezbollah à 10 kilomètres de la frontière et un déploiement de l’armée libanaise pour assurer la stabilité du Sud-Liban. «La France s’implique dans la résolution du conflit et surtout pour éviter l’escalade et une nouvelle guerre au Liban», a souligné mercredi le chef de la diplomatie française, Stéphane Séjourné, jugeant que la situation était «sérieuse» mais «pas irréversible». Dans un discours prononcé la veille, Hassan Nasrallah, le leader de la puissante milice chiite, déclarait toutefois que «la fermeture du front libanais ne pouvait dépendre que des développements à Gaza».

«La récente escalade» au Liban est «dangereuse et doit s’arrêter», a plaidé mercredi le porte-parole du secrétaire général de l’ONU. Stéphane Dujarric a relevé que les Casques bleus de la mission de l’ONU au Liban avaient noté un «déplacement des échanges de tirs entre les forces israéliennes et les groupes armés au Liban, y compris visant des zones loin de la Ligne bleue». A mesure que les négociations patinent, le conflit au Sud-Liban paraît chaque jour un peu plus incontrôlable. D’un épisode à l’autre, les Libanais craignent surtout que la situation ne devienne, à terme, totalement irréparable.