Sans surprise, la Cour pénale internationale (CPI) a rappelé à l’ordre les talibans. Depuis leur retour au pouvoir en Afghanistan, en 2021, ils mènent une campagne de répression contre les femmes à coups de décrets : obligées de rester calfeutrées derrière des fenêtres, interdites de prendre la parole en public, de chanter, ou encore lapidées en cas d’adultère. La Cour a émis, mardi 8 juillet, des mandats d’arrêt à l’encontre de deux dirigeants talibans pour «persécution» des femmes, un crime contre l’humanité.
Les fondamentalistes religieux se sont empressés de qualifier ces poursuites d’«absurdes». «Une fois de plus, la soi-disant cour internationale a annoncé que certains dirigeants de l’émirat islamique devaient être arrêtés et traduits en justice, a déclaré un porte-parole du gouvernement afghan à la presse. De telles annonces absurdes n’affecteront en rien l’engagement ferme [des autorités talibanes] en faveur de la charia [loi islamique, ndlr]. Nous ne reconnaissons pas le tribunal international et n’en avons pas besoin.»
Les deux cibles : le chef suprême taliban, Haibatullah Akhundzada, qui avait appelé, l’année dernière depuis Kandahar, ville située dans le sud du pays et berceau du mouvement, les Afghans à bien respecter la charia ; et le président de la Cour suprême, Abdul Hakim Haqqani. Ils sont soupçonnés d’avoir «commis, en ordonnant, incitant ou sollicitant, le crime contre l’humanité de persécution […] pour des motifs liés au genre, contre des filles, des femmes». La CPI précise : «Si les talibans ont imposé certaines règles et interdictions à l’ensemble de la population, ils ont spécifiquement ciblé les filles et les femmes en raison de leur genre, les privant ainsi de leurs droits et libertés fondamentaux.»
«Gravement privées de droits»
Le tribunal liste les crimes présumés commis entre le 15 août 2021, date de la prise de Kaboul, et le 20 janvier, au moins : privation des filles et des femmes de leurs droits à l’éducation, à la vie privée et à la vie familiale, de leurs libertés de mouvement, d’expression, de pensée, de conscience et de religion. Ce qui fait dire à la CPI que les fondamentalistes religieux les ont «gravement privées» de liberté. Euphémisme.
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Les juges de La Haye en déduisent que selon l’expression de leur sexualité ou de leur genre, certains individus – comprendre les femmes et la communauté LGBTQ – sont «considérés comme incompatibles avec la politique des talibans». Lundi 7 juillet, l’Assemblée générale de l’ONU a, de son côté, voté une résolution dénonçant le «système institutionnalisé» de «ségrégation» des femmes et des filles mis en place par les talibans en Afghanistan.
Déjà fin janvier, Karim Khan, procureur de la CPI, avait demandé ces mandats d’arrêt. Il avait pris la parole pour expliquer que les femmes et les filles afghanes, ainsi que la communauté LGBTQ, étaient confrontées à «une persécution sans précédent, inadmissible et permanente de la part des talibans».
Un «apartheid de genre»
A leur retour au pouvoir, après un mandat entre 1996 et 2001, les talibans avaient garanti qu’ils seraient plus cléments, pour tenter de rassurer les acteurs internationaux. Finalement, les décrets sont impitoyables avec les femmes. Les lois qui leur sont hostiles s’empilent, tellement que l’ONU a qualifié la situation d’«apartheid de genre» : interdiction faite aux filles d’accéder à l’école secondaire et aux femmes à l’université ou dans des parcs, gymnases et bains ; restrictions faites à ces dernières de travailler pour les ONG ; fermeture des salons de beauté.
Par ailleurs, Karim Khan rappelait que d’autres persécutions, voire crimes contre l’humanité, ont été commis : «La résistance ou l’opposition perçue aux talibans a été et est encore brutalement réprimée par la commission de crimes tels que le meurtre, l’emprisonnement, la torture, le viol et d’autres formes de violence sexuelle, les disparitions forcées et d’autres actes inhumains.»
Pour rappel, la Cour a pour fonction de juger les crimes les plus graves au monde, tels que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. En théorie, toute personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de ce tribunal doit pouvoir être arrêtée si elle se trouve dans l’un des Etats membres. Dans les faits, la Cour ne peut les contraindre à agir dans ce sens.