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Proche-Orient

A Gaza, le «piège mortel» de la distribution de l’aide pour les Palestiniens fait au moins 31 morts

Au moins 31 personnes ont été tuées dimanche 1er juin lors d’une livraison de nourriture à Rafah. Ce nouveau fiasco meurtrier de la Fondation humanitaire de Gaza intervient alors que les pourparlers entre le Hamas et Israël sont au point mort.
Des Palestiniens poussent des corps sur un chariot après les tirs israéliens sur la foule, près de Rafah, ce dimanche 1er juin. (Photo/AFP)
publié le 1er juin 2025 à 9h08
(mis à jour le 1er juin 2025 à 17h46)

Le chaos et la mort à nouveau lors de la distribution de l’aide alimentaire à Gaza, qui pâtit toujours d’un manque d’accord entre Israël et le Hamas sur une éventuelle trêve. Au moins 31 personnes ont été tuées et 176 blessées ce dimanche 1er juin dans le territoire palestinien alors qu’elles venaient chercher de la nourriture à Rafah (sud de l’enclave). Selon des responsables de la santé et de nombreux témoins, les forces israéliennes ont tiré sur la foule à environ un kilomètre d’un site d’aide géré par la Fondation humanitaire de Gaza (FHG). L’organisation privée aux financements opaques est soutenue par Israël et les Etats-Unis. Depuis le 27 mai qu’elle a pris en charge la gestion de l’aide, les scènes de bousculades et de violences avec des morts et des blessés se répètent.

«Fausses informations»

Avant dimanche, au moins six personnes ont déjà été tuées et plus de 50 blessées selon les autorités sanitaires locales. La Fondation assure que les entreprises de sécurité privées qui gardent ses sites n’ont pas tiré sur la foule, alors que Tsahal a reconnu avoir effectué des tirs de sommation à plusieurs reprises ces derniers jours. Dans un communiqué diffusé ce dimanche, la FHG a tenu à préciser qu’elle avait distribué 16 camions d’aide tôt ce même jour, «sans incident». Et elle a rejeté ce qu’elle a qualifié de «fausses informations sur les morts, les blessés en masse et le chaos». De la même manière, l’armée israélienne a démenti avoir ouvert le feu sur des civils à proximité du site de distribution. «Les conclusions d’une enquête initiale indiquent que l’armée n’a pas tiré sur des civils qui se trouvaient à proximité ou à l’intérieur du site», a-t-elle ajouté.

Ces déclarations sont contredites par les nombreux témoignages récoltés par les agences de presse. «Il y avait beaucoup de monde, c’était le chaos, l’armée a tiré depuis des drones et des chars», a raconté à l’AFP Abdallah Barbakh, 58 ans. «Les tirs venaient de toutes les directions, des navires de guerre, des chars et des drones», a dit à AP Amr Abu Teiba, qui se trouvait dans la foule. Il a déclaré avoir vu au moins dix corps blessés par balle. Selon son récit, les gens utilisaient des charrettes pour transporter les morts et les blessés jusqu’à l’hôpital de campagne. «La scène était horrible», a-t-il ajouté.

«100 % de la population est menacée de famine»

«Il y a des martyrs et des blessés. Il y a beaucoup de blessés. La situation est tragique ici. Je leur conseille de ne pas se rendre aux points de distribution de l’aide. Ça suffit», a déclaré à Reuters l’ambulancier Abu Tareq, dans la ville voisine de Khan Younès. La plupart des victimes ont été touchées «dans la partie supérieure du corps, y compris la tête, le cou et la poitrine», a indiqué le Dr Marwan al-Hams, un responsable du ministère de la Santé à l’hôpital Nasser, où de nombreux blessés ont été transférés après avoir été initialement amenés dans un hôpital de campagne géré par la Croix-Rouge.

Arrivé à cet hôpital de campagne vers 6 heures du matin dimanche, un journaliste d’AP a vu des dizaines de blessés, dont des femmes et des enfants. Il a également aperçu des foules de personnes revenant du point de distribution. Si certaines portaient des cartons d’aide, la plupart semblaient revenir les mains vides. Seules des quantités très limitées d’aide sont entrées dans l’enclave depuis l’allègement du blocus imposé par Israël. Selon le porte-parole du bureau des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha), la bande de Gaza est «l’endroit le plus affamé au monde», «100 % de la population est menacée de famine».

La mission de la Fondation humanitaire de Gaza vire au fiasco meurtrier. En condamnant les décès de dimanche, le directeur de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarini, parle même, sur X, d’une «distribution de l’aide devenue un piège mortel» pour les habitants de Gaza. Et rappelle cette distribution devrait se faire «uniquement par l’intermédiaire des Nations unies, y compris l’UNRWA». Jusqu’à décembre, l’agence de l’ONU était chargée de cette aide, avant d’être interdite d’opérer à Gaza par le gouvernement Nétanyahou.

Celui-ci, au vu de l’impasse dans lequel se trouvent les discussions pour un cessez-le-feu entre le Hamas et Israël, est lancé dans une fuite en avant. Après que l’émissaire des Etats-Unis pour le Moyen-Orient a jugé «inacceptable» la réponse du Hamas à une proposition américaine de trêve, le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, a ordonné dimanche à l’armée de «continuer à avancer dans Gaza contre toutes les cibles, indépendamment de toute négociation, et d’utiliser tous les moyens nécessaires pour protéger les soldats et pour éliminer et écraser les meurtriers du Hamas».

Graves pénuries

La situation humanitaire est désastreuse dans la bande de Gaza, où un blocus de plus de deux mois, partiellement assoupli la semaine dernière, a entraîné de graves pénuries de nourriture, de médicaments et d’autres biens de première nécessité.

Israël y a récemment intensifié ses opérations militaires, dans le but affiché de prendre le contrôle de la totalité du territoire palestinien, d’anéantir le Hamas, et de libérer les derniers otages enlevés lors de l’attaque sans précédent du mouvement islamiste palestinien le 7 octobre 2023 en Israël, qui a déclenché la guerre.

Vendredi, l’ONU avait dénoncé le pillage par des individus armés de «grandes quantités» de matériel médical et de suppléments nutritionnels tout juste arrivés dans un hôpital de campagne dans le centre de la bande de Gaza. Et mercredi, un entrepôt du Programme alimentaire mondial dans le territoire avait été pillé par «des hordes de gens affamés», selon cette agence des Nations unies.

Mise à jour à 9 h 50 avec un nouveau bilan ; à 11 h 32 avec le témoignage du photographe de l’AFP et la réaction israélienne ; à 12 h 59 avec la mention de tirs près d’un second centre d’aide ; à 14 h 48 avec un nouveau bilan ; à 16 h 58 avec la réaction de la GHF ; à 17 h 21 avec celle de l’ONU ; à 17 h 45 avec une nouvelle version de l’article.