Ali a 16 ans, il est élève en première dans un lycée de Paris. Ce vendredi matin, peu avant 11 heures, il était en cours de physique-chimie. «Je savais que l’annonce du prix Nobel de la Paix tombait à cette heure, alors, discrètement, sans que le prof me voie, je n’arrêtais de rafraîchir la page sur mon portable, mais ça a duré quelques minutes avant que le nom de ma mère apparaisse !» raconte-t-il au téléphone à Libération. Sa voix est un peu essoufflée, le téléphone n’arrête pas depuis l’annonce que la récompense était attribuée à Narges Mohammadi. «On est très très fiers et très heureux, c’est assez fou, ajoute Ali, qui a réussi à rester calme et silencieux jusqu’à la fin de son cours. En fait, j’avais tellement peur de me trahir que j’ai évité de croiser le regard de mes potes. Quand la fin de la classe a sonné, j’ai foncé, quitté le lycée et suis rentré direct à la maison, j’avais besoin de célébrer avec mon père.»
On est au milieu de l’après-midi, et Ali confie en pouffant : «Ma sœur jumelle Khiana est encore au lycée. Il y a de fortes chances qu’elle ne soit pas encore au courant, elle est assez peu sur les réseaux sociaux, elle va avoir une sacrée surprise en rentrant.» Sa voix se fêle un peu lorsqu’il explique ne pas «avoir parlé à notre mère depuis deux ans». Le régime n’autorise pas les plus proches, son époux, Taghi Rahmani, lui-même un opposant de longue date, et leurs deux enfants, Ali et Khiana, tous réfugiés depuis huit ans en France, à parler directement à Narges, incarcérée dans la sinistre prison d’Evin, au cœur de Téhéran. «Le contact se fait par le biais de mes oncles et tantes à Téhéran, qui peuvent parfois lui parler ou la voir.»
Son père, Taghi Rahmani, intervient alors dans la conversation. «Le Nobel de la Paix, c’est immensément prestigieux, une immense fierté, mais c’est aussi une responsabilité supplémentaire. Comme elle-même l’a dit dans le message qu’elle avait préparé et dicté à sa sœur, ce prix ne fait que renforcer la lutte, notre détermination à tous, pour obtenir trois choses en Iran : la démocratie, la liberté et l’égalité.» Ni lui ni son fils ne s’attendent à ce que la libération de Narges soit accélérée par l’octroi de ce prix. «Au contraire, il y a sans doute un risque de répercussion en prison», juge Ali. Mais «ce qui est important, c’est que le chemin vers la liberté se poursuive, que la lutte contre les discriminations ethniques, de genre et sociales s’intensifie», ajoute son père.
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Plusieurs heures après l’attribution du Nobel, sa famille en France ne savait toujours pas comment Narges avait accueilli la nouvelle entre les murs de sa prison. «Globalement, elle va plutôt bien, même si elle suit un traitement médical lourd depuis deux ans et son opération à cœur ouvert, ce qui, en prison, n’est pas évident, explique Taghi. Mais elle voudrait qu’on mentionne deux autres prisonnières politiques qui sont actuellement en très très mauvaise santé, Nahid Taghavi et Mahvash Sabet.»
«Ce prix est pour ma mère, mais pas seulement. Il est pour toutes les personnes qui se battent en Iran, pour toutes les prisonnières, pour les femmes aussi qui se battent contre le régime des talibans en Afghanistan», renchérit Ali. Il n’y aura pas de vraie fête pour célébrer la récompense. Samedi, l’adolescent rendra sans doute visite à l’association Seda, qui signifie «la voix» en persan et qui aide les réfugiés à leur arrivée. L’organisation est dirigée par «une personne très très chère à mon cœur, la voir sera une manière de célébrer ce prix».
Le prix Nobel sera officiellement décerné lors d’une cérémonie à Oslo, début décembre. Taghi, Ali et Khiana s’y rendront ensemble pour représenter Narges. «A moins, on peut toujours espérer, qu’elle soit libérée d’ici là et autorisée à s’y rendre avec nous.»