De Berlin à Belgrade, en passant par Paris, Londres ou encore Athènes, de nombreux réfugiés syriens se sont retrouvés dans les rues de capitales européennes dimanche 8 décembre pour clamer leur joie face à la chute du «boucher de Damas». Leur joie pourrait être de courte durée car, depuis la reprise de Damas, par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), plusieurs pays européens ont fait part de leur souhait de revoir les politiques d’accueil des demandeurs d’asile syriens.
Depuis 2011, près de 6,6 millions de Syriens ont été contraints de fuir leur pays pour échapper à la guerre civile. Parmi eux, environ un million ont trouvé refuge dans un pays de l’Union européenne. Mais dans un contexte de forte progression des partis d’extrême droite aux récentes élections sur le continent, il n’aura pas fallu 48 heures aux gouvernements allemand, autrichien, suédois, danois, norvégien et suisse pour décider de la suspension des demandes d’asile des ressortissants syriens.
«Un gel» des procédures d’asile en Allemagne
Au lendemain de la chute du boucher de Damas, la ministre de l’Intérieur allemande, Nancy Faeser, a annoncé dans un communiqué qu’étant donné «l’incertitude actuelle», l’Office fédéral de l’immigration et des réfugiés a «décrété un gel des décisions pour les procédures d’asile en cours». Les autorités justifient leur décision en parlant d’une situation politique pour l’instant «très confuse» en Syrie. Selon l’Office, 47 270 demandes d’asile émanant de Syriens n’ont pour l’instant pas fait l’objet de décision.
L’Allemagne est le pays de l’Union européenne qui accueille la plus importante diaspora syrienne. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, plus de 970 000 personnes de nationalité syrienne résident actuellement dans le pays. Dans un contexte marqué par la campagne des élections fédérales de février 2025, où l’extrême droite pourrait accentuer sa percée, le paysage politique allemand est fracturé sur la question de l’accueil des réfugiés syriens. D’un côté le parti conservateur, l’Union chrétienne-démocrate (CDU), plaide pour le rapatriement de réfugiés syriens dans leur pays. De l’autre, les sociaux-démocrates du SPD et les Verts appellent à la patience.
L’Autriche stoppe les demandes d’asile et prévoit un «programme d’expulsion» vers la Syrie
La décision de suspendre les demandes d’asile pour les réfugiés syriens a également été suivie par le voisin de l’Allemagne. Dans un communiqué, le ministère de l’Intérieur autrichien a déclaré qu’à partir du lundi 9 décembre, date de parution du texte, «l’ensemble des procédures de demandes d’asile en cours vont être stoppées». Environ 7 300 dossiers sont concernés par cette décision. Aujourd’hui, près de 100 000 Syriens vivent en Autriche, ce qui fait du pays un des plus accueillants d’Europe en la matière. Le cas des personnes s’étant déjà vu accorder l’asile va être réexaminé. Le regroupement familial est suspendu. Et les autorités autrichiennes ont annoncé préparer un «programme de rapatriement et d’expulsion vers la Syrie».
En Suède, les expulsions suspendues et les demandes d’asile gelées
Plus au nord de l’Europe, dans le pays qui a accueilli le plus de réfugiés après l’Allemagne (plus de 50 000), les services de l’immigration ont annoncé la suspension des expulsions et le gel des demandes d’asile. «Compte tenu de la situation, il n’est tout simplement pas possible d’évaluer les motifs de protection à l’heure actuelle», a déclaré Carl Bexelius, responsable des affaires juridiques à l’office national suédois des Migrations, en attendant une décision formelle mardi. Plus tôt dans la journée, le chef de file de l’extrême droite suédoise, membre de la coalition gouvernementale, avait appelé à «réexaminer» les permis de séjour des réfugiés syriens à la lumière de la chute de Bachar al-Assad. Commentant les rassemblements de centaines de personnes dans les rues de Stockholm pour célébrer la chute d’al-Assad, Jimmie Akesson avait constaté «que des groupes se réjouissent de cette évolution ici en Suède. Vous devriez y voir une bonne occasion de rentrer chez vous». Le ministre suédois des Migrations Johan Forssell, membre du Parti modéré (libéral-conservateur) a déclaré qu’il était pour l’instant «trop tôt pour tirer des conclusions» de la situation sur le terrain.
Au Danemark, suspension des traitements des dossiers
La commission de recours des réfugiés «a décidé de suspendre le traitement des dossiers concernant des personnes en provenance de Syrie en raison de la situation très incertaine dans le pays après la chute du régime Assad», a-t-elle écrit dans un communiqué. La décision concerne actuellement 69 cas. Dans le même temps, la commission a «décidé de reporter la date limite de départ pour les personnes en mesure d’être expulsées vers la Syrie», ce qui concerne 50 cas. Copenhague a été, depuis 2020, la première des capitales de l’UE à réexaminer des centaines de dossiers de réfugiés syriens au motif que «la situation actuelle à Damas n’est plus de nature à justifier un permis de séjour ou son extension». Le pays assume depuis 2015 une politique d’accueil très restrictive, assumant un objectif de «zéro demandeur d’asile», encourageant les retours volontaires des Syriens et ne délivrant que des permis de résidence temporaire depuis cette date.
En Norvège, gel des examens des dossiers
De son côté, Oslo a aussi décidé de suspendre l’examen des dossiers de réfugiés syriens, dans l’attente d’une stabilisation de la situation. «La situation dans le pays reste très floue et non résolue», écrit le directorat norvégien de l’immigration (UDI). La suspension de l’examen des dossiers signifie que l’UDI «ne rejettera ni n’accordera les demandes d’asile des Syriens qui ont demandé l’asile en Norvège, pour le moment», précise l’organisation sans donner le nombre de dossiers concernés. Pour le contexte, le pays a reçu 1 933 demandes d’asile en provenance de la Syrie depuis le début de l’année.
Le sort des réfugiés syriens en Suisse également suspendu
«Le SEM suspend les procédures et les décisions d’asile pour les requérants d’asile syriens jusqu’à nouvel ordre», a écrit le secrétariat d’Etat aux migrations sur le réseau social X. Il indique n’être «actuellement pas en mesure d’examiner de manière fondée s’il existe des motifs d’asile et si l’exécution d’un renvoi est raisonnablement exigible». Plus tôt dans la journée, l’UDC (droite radicale), premier parti du pays, avait réclamé un arrêt immédiat de l’asile accordé aux Syriens. «La raison de l’accorder n’existe plus», avait écrit sur le réseau social X, Thomas Aeschi, chef du parlementaire de l’Union démocratique du centre (UDC) à la chambre basse. Environ 28.000 ressortissants syriens séjournaient en Suisse à la fin de l’année 2023.
Mise à jour lundi 9 décembre avec les cas de la Suisse, du Danemark et de la Norvège