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Libération
Esclavage moderne

Amnesty International dénonce la «traite d’êtres humains» de travailleuses kényanes en Arabie Saoudite

Plus de 70 femmes originaires du Kenya parties travailler dans le pays du Golfe témoignent avoir été victimes d’exploitation et d’agressions par leurs employeurs, dans un rapport de l’ONG publié mardi 13 mai.
A Riyad, en Arabie Saoudite, en janvier 2023. (Mattia Ozbot/Getty Images)
publié le 15 mai 2025 à 7h00

Isolement, agressions verbales, physiques et sexuelles, propos racistes… La liste de violences vécues par des employées de maison kenyanes en Arabie Saoudite est longue. C’est ce que révèle un rapport d’Amnesty International publié mardi 13 mai, pour coïncider avec l’arrivée de Donald Trump dans le royaume. L‘ONG dénonce une situation qui «s’apparente vraisemblablement à la traite d’êtres humains», alors que l’esclavage a officiellement été aboli en 1962 dans cet état du Golfe. Pour étayer son propos, Amnesty a rencontré 72 femmes durant l’année 2024, anciennes employées de maison en Arabie Saoudite et rentrées au Kenya. A ce jour, il y aurait environ 150 000 travailleurs domestiques kényans dans le pays, majoritairement des femmes.

Les histoires de toutes les victimes interrogées par l’ONG se ressemblent : elles souhaitaient fuir des difficultés économiques au Kenya, où 40 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, des agents de recrutement leur ont laissé croire qu’une vie meilleure les attendait à l’étranger, un système qui porte le nom de «kafala» et qui lie des travailleurs étrangers à des employeurs qui agissent comme des sortes de parrains. Les employés deviennent alors dépendants de leurs patrons, qui régissent leurs entrées et sorties du pays, leur droit à obtenir un visa, ainsi que le droit ou non de changer d’emploi. Quelques-uns vont jusqu’à confisquer les passeports. En Arabie Saoudite, 77 % de la main-d’œuvre étrangère dans le secteur privé est régie par la kafala, un système qui «favorise l’exploitation» selon le directeur d’Amnesty International Kenya, Irungu Houghton.

«Je me sentais en prison»

Ce n’est qu’en arrivant en Arabie Saoudite que les employées découvrent une réalité extrêmement difficile. Elles travaillent 16 à 18 heures par jour, n’ont ni congé ni vacances et gagnent en moyenne 0,47 euro de l’heure. La majorité des femmes interrogées par Amnesty racontent qu’elles n’étaient pas autorisées à sortir seules. «Je n’avais aucune liberté. Je me sentais en prison», raconte Joy (1) à l’ONG.

A cela s’ajoutent des violences verbales, physiques et sexuelles. «Les enfants ou l’épouse de l’employeur nous appelaient “singes” ou “babouins”. Parce que nous sommes noires», révèle Rosaline (1). D’autres victimes racontent avoir été traitées d’animal ou de prostituée, en raison de leur couleur de peau. Parmi les témoignages recueillis, de nombreuses femmes relatent avoir été victimes d’agressions physiques et sexuelles. Judy (1) se souvient des pressions de son maître de maison afin qu’elle taise les menaces de viol. «Il a fini par me violer cinq fois», confie-t-elle à l’ONG.

«Le Kenya doit collaborer»

Pour que la situation change, Irungu Houghton est convaincu que le Kenya a un rôle à jouer «dans la protection des employées domestiques à l’étranger. [Le pays] doit collaborer avec l’Arabie Saoudite pour assurer la protection des travailleuses migrantes en cadrant les pratiques de recrutement». En janvier, l’Arabie Saoudite est devenue le premier pays arabe à introduire une politique nationale pour l’élimination du travail forcé. Selon Amnesty International toutefois, cela n’est pas suffisant car cette politique «manque de clarté quant aux mécanismes nécessaires pour en garantir son application et son respect».

(1) Les prénoms ont été modifiés.