La rencontre a eu lieu le 11 décembre, trois jours après la chute du dictateur syrien Bachar al-Assad. Lors de ce déjeuner organisé au Sénat américain en présence de représentants de l’opposition iranienne, le sénateur républicain Ted Cruz prévient : «Il y a du changement dans l’air.» L’élu du Texas rappelle comment, lors de son premier mandat, Donald Trump avait strictement réduit la production de barils de pétrole iranienne et comment, avec l’arrivée de la «mauvaise administration» Biden, l’Iran a inversé la tendance pour renflouer ses caisses et celles de ses supplétifs, dont le Hezbollah et le Hamas. «Nous couperons les ressources de ce régime cruel et oppressif», tranche-t-il, en «imposant avec vigueur des sanctions», en «arrêtant les centres de recherche nucléaire» et en «stoppant leur production de pétrole». «L’ayatollah panique, car les revenus du régime sont sur le point de disparaître, assure l’élu républicain. L’Iran est faible, elle a peur. La liberté arrive, et peut-être à une vitesse qui étonnera beaucoup de monde.»
A nouveau dans le viseur du président élu Trump, affaiblie par la chute du «boucher de Damas» et l’effondrement du Hezbollah, ciblée directement par Israël en avril et en octobre, la république islamique pourrait être le prochain membre de «l’axe de la résistance», comme se nomment les pays du croissant chiite, à vaciller. «Avec ce qui s’est passé avec la rapidité de l’éclair en Syrie, il ne s’agit plus d’un scénario de fiction, mais d’une possibilité réelle», soulignait le quotidien libanais l’Orient le jour le 17 décembre, évoquant une vague qui peut finir par «toucher» le pays et «y changer le régime de la république islamique».
La Syrie jouait jusqu’alors le rôle de «pont terrestre»
La fuite du despote al-Assad, qualifiée d’«année 1989 du Moyen-Orient» par la revue américaine Foreign Policy, a été suivie avec attention à Téhéran, tant par la population que par l’ayatollah Ali Khamenei, le guide suprême qui dirige d’une main de fer le pays. «Quiconque fait des analyses ou des déclarations décourageant le peuple commet un crime et sera puni, a d’ailleurs averti celui-ci. Certains le font depuis l’étranger en utilisant les médias en langue persane, mais personne à l’intérieur du pays ne devrait se livrer à un tel comportement.»
Sur le plan régional, la prise de pouvoir à Damas des islamistes d’Hayat Tahrir al-Sham constitue un revers pour Téhéran. La Syrie jouait jusqu’alors le rôle de «pont terrestre qui permettait à l’Iran de faire circuler des marchandises et de transférer une aide létale au Hezbollah», rappelle le think-tank Chatham House, basé à Londres, tout en pointant que la relation entre les deux pays était «profonde» et «remontait à la révolution iranienne de 1979». Une relation qui a valu à al-Assad fils d’être sauvé de la déroute en 2012, lorsque les milices iraniennes sont venues lui prêter main-forte sur le terrain face aux rebelles. L’Iran y contrôlait des bases militaires, des usines de missiles, des tunnels et des entrepôts qui servaient de chaîne d’approvisionnement à ses proxys, tout en ayant un accès aux ports et aux aéroports du pays.
Mais la route syrienne est aujourd’hui coupée, l’argent iranien a été pour beaucoup gaspillé sur place, sans compter les pertes humaines. Et la république islamique se trouve de plus en plus isolée. Sentant le vent tourner, certains au sein du régime iranien suggèrent «qu’au cours de l’année écoulée, la frustration iranienne à l’égard d’Assad s’était accrue», selon le groupe de recherche londonien. D’autres «ont accusé Assad de se montrer le complice discret des frappes israéliennes contre les installations iraniennes en Syrie et de ne pas jouer correctement son rôle au sein de l’axe de résistance».
Pénuries de carburant, pannes de courant, pollution persistante
En interne aussi, la pression monte. La société civile iranienne n’a jamais cessé de se mobiliser depuis la naissance du mouvement «Femme, Vie, Liberté» en septembre 2022, après la mort de la jeune Mahsa Amini, réprimé dans le sang avec des centaines de morts et des milliers de prisonniers. Le concert sans voile de la chanteuse Parastoo Ahmadi, le 11 décembre, arrêtée avec ses musiciens puis relâchée, a sonné comme un nouveau pied de nez aux mollahs. Au sein même du pouvoir politique, des crispations se font sentir autour de la nouvelle loi sur «la chasteté et le hijab», qui doit durcir drastiquement les sanctions à l’encontre des femmes ne portant pas le voile obligatoire, avec une peine pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement et une amende équivalente à 5 700 euros. Après le président Massoud Pezeshkian, qui a émis publiquement des doutes début décembre sur la pertinence du texte, le Parlement a formellement demandé mercredi 18 décembre la modification du projet de loi, qui comporte 74 articles.
La situation économique et sociale très fragile – une des raisons qui ont conduit à la débandade du régime d’Al-Assad – est aussi source de mécontentement. Pénuries de carburant, pannes de courant, restrictions d’accès à Internet, alors que le pays est frappé par une pollution de l’air persistante… Les griefs sont nombreux. Depuis le mardi 17 novembre, l’éclairage de nuit des autoroutes n’est plus assuré à Téhéran afin d’économiser l’énergie, alors qu’une vague de froid met sous pression le réseau électrique, mal entretenu à cause des sanctions, et l’approvisionnement en énergie des 85 millions d’habitants. Les centres commerciaux de la capitale ferment aussi deux heures plus tôt. Trois jours auparavant, c’étaient aux écoles et aux bâtiments publics de baisser le rideau dans plusieurs régions. Et le président Pezeshkian d’appeler ses concitoyens à réduire la température de leur logement et à porter des vêtements chauds, alors même que le pays se positionne comme un géant énergétique… «L’état psychologique de la société est tel que la moindre étincelle, qu’il s’agisse de la mort de Khamenei ou d’un autre revers important, pourrait signaler le début de la fin du régime, conclut dans un entretien au média allemand Deutsche Welle Hossein Razzagh, activiste iranien et ancien prisonnier. Nombre de ses partisans les plus fervents se demandent désormais si l’Iran lui-même n’est pas au bord de l’effondrement.»