Il est apparu sur fond rouge, une sourate du Coran incrustée derrière lui : «Il a été permis à ceux qui sont attaqués de se défendre, car ils ont été injustement opprimés. Et Dieu a le pouvoir de leur accorder la victoire.» Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s‘est adressé jeudi 19 septembre à ses partisans et plus largement à la nation musulmane tout entière, un fait peu ordinaire, après les attaques aux bipeurs mardi, puis aux talkies-walkies mercredi, qui ont tué au moins 37 personnes et en ont blessé 3 200 dans une grande partie du Liban.
Le religieux chiite n’a eu d’autre choix que d’essayer de capitaliser sur ce fiasco sécuritaire. «Ce qui s’est passé pourrait être qualifié de déclaration de guerre, a-t-il lancé, martial. Nous ne tomberons pas. Nous deviendrons plus forts. Nous nous préparerons à affronter pire.» Puis, en s’adressant directement au Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou : «Ni l’escalade militaire, ni les meurtres, ni même la guerre totale ne ramèneront vos colons et vos habitants à la frontière ! Le châtiment viendra.»
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Au moment où il prononçait son discours, l’aviation israélienne a mené une série de raids violents tout le long de la frontière, en franchissant le mur du son, alors que sept sites du mouvement chiite dans le sud du Liban avaient déjà été frappés dans la nuit. Tsahal a ensuite annoncé la mort de deux soldats dans le nord du pays. Les représentants de la diplomatie américaine, française, allemande, italienne et britannique se réunissaient, eux, à Paris pour tenter d’éviter une nouvelle fois une guerre totale à la frontière libano-israélienne, qui couve depuis près d’un an. Et que ces attaques pourraient précipiter d’un côté comme de l’autre.
Nouveaux combattants
Après cette «pénétration absolument stupéfiante, presque certainement sans précédent dans l’histoire du renseignement», selon les mots de Charles Lister, analyste au Middle East Institute, sur le réseau social X, les troupes du parti chiite pro iranien semblent mal en point. Des centaines d’agents sont désormais mutilés ou aveugles, les appareils ayant explosé dans leurs mains, sous leurs yeux ou sur leur flanc. «La branche militaire de ce groupe para-étatique complexe n’est toutefois pas la plus touchée, note Mesrob Kassemdjian, doctorant à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de Londres et spécialiste de la coopération entre le Hamas et le Hezbollah. Il s’agit plutôt de la branche politique et de la branche sociale. La plupart des blessés sont des leaders, des messagers, des médecins, mais aussi des civils. Cela peut aider à mobiliser et recruter, pour défendre la famille et les amis.»
C’est ce qui s’était produit en 1994, dans le nord-est du Liban, après qu’un raid israélien contre un camp d’entraînement du Hezbollah avait tué au moins 45 personnes, raid le plus meurtrier jusqu’ici contre le Parti de Dieu. «L’organisation avait réussi à survivre, rapporte Mohanad Hage Ali, chercheur au Carnegie Middle East Center, basé à Beyrouth. Ça sera aussi le cas aujourd’hui, même si c’est un énorme choc. Sur les 30 000 employés à temps plein du mouvement plus de 2 000 sont sévèrement blessés, mais ils reviendront peu à peu à la vie normale.»
A la frontière, une communication parallèle
Au-delà des pertes humaines, l’organisation islamiste doit aussi revoir tout son réseau de communication interne, une de ses obsessions, pourtant sécurisé depuis des décennies. «Il y a un vrai défi à relever, mais le mouvement est ingénieux, innovant et peut compter sur l’aide de l’Iran, souligne le chercheur libanais Mesrob Kassemdjian. En cas d’invasion israélienne, les forces de guérillas, elles, savent travailler indépendamment les unes des autres sans être en communication constante. Cela aurait été dévastateur pour le Hezbollah si Israël avait d’abord envahi le pays, puis détruit le système de communication.»
Les attaques simultanées de mardi et mercredi ont d’ailleurs touché des agents et sympathisants dans la banlieue sud de Beyrouth, dans la plaine de la Bekaa et à l’intérieur du Sud-Liban, hauts lieux de l’organisation chiite, mais pas à la frontière israélienne. «Ce qui veut dire que les soldats postés là utilisent un autre réseau de communication, souterrain, qui n’a pas été intercepté par Israël», observe Mohanad Hage Ali.
Pour Mesrob Kassemdjian, les représailles pourraient ne pas arriver tout de suite «du fait de leur préparation, de la coordination avec l’Iran et des acteurs opérant en Syrie, en Irak au Yémen et à Gaza, mais aussi du fait des opportunités qui se présentent. Les combattants attendent qu’Israël envoie des soldats à la frontière, sur le terrain. A moins que le mouvement ne dispose d’informations sur un cessez-le-feu sur le point d’être négocié à Gaza, ce qui lui permettrait de ne pas riposter en invoquant le processus de paix signé dans l’enclave.» Son confrère Mohanad Hage Ali est moins optimiste. «Ces attaques ont choqué le mouvement et l’ont rendu paranoïaque, s’alarme-t-il. Il sera poussé à adopter une réponse plus radicale et à déclencher un conflit, loin de la politique et du pragmatisme.»