Samedi 15 mars, le journaliste palestinien Mahmoud Samir Isleem Al-Basos a été tué par une frappe israélienne à Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza. Quelques jours plus tôt, profitant de la trêve désormais révolue, il s’efforçait à l’aide d’un drone de documenter l’ampleur des destructions causées par la guerre dans l’enclave depuis le début de l’offensive israélienne, consécutive aux attaques terroristes du 7 octobre 2023. Son nom, désormais, s’ajoute à la liste des près de 170 professionnels des médias tués dans la bande de Gaza depuis deux ans et demi, selon les données du Comité pour la protection des journalistes. Une hécatombe sur laquelle travaillent depuis des mois les journalistes de la plateforme Forbidden Stories, dans le cadre du collaboratif «Gaza Project». Ces derniers, qui travaillent pour douze médias prestigieux à travers le monde, publient ce jeudi 27 mars une nouvelle série d’enquêtes sur le sujet.
«Nous avons enquêté sur les conditions dans lesquelles les journalistes ont été frappés. La guerre à Gaza est assez unique : c’est un trou noir de l’information. Aucun journaliste étranger n’a accès au terrain depuis le 7 Octobre, ou alors dans des conditions très encadrées par l’armée israélienne», rappelle Laurent Richard, le fondateur de Forbidden Stories. Sur la base de l’analyse de vidéos et de documents confidentiels ou de témoignages directs, les auteurs ont cherché à déterminer si les victimes avaient été visées intentionnellement par l’armée israélienne.
«C’était un tir direct»
C’est ce que suggèrent, par exemple, les informations réunies sur le cas de Fadi Al-Wahidi, paralysé des deux jambes après avoir été gravement blessé par une frappe aérienne en octobre, alors qu’il se trouvait dans une zone non concernée par les ordres d’évacuation israéliens, portait un gilet identifié presse et que du matériel professionnel était disposé en évidence autour de lui. «Encore maintenant, mes oreilles entendent les balles rebondir sur la porte et sur les murs à côté de moi. C’était une [tentative] d’assassinat ciblé. C’était un tir direct», témoigne le jeune homme de 25 ans.
Les auteurs se sont intéressés aussi au ciblage des journalistes qui se servent de drones pour filmer les ruines de Gaza. A cause notamment de «l’absence de règles claires transmises aux soldats pour distinguer les journalistes utilisant des drones des combattants», cinq d’entre eux au moins ont été tués ou grièvement blessés par des «tirs de précision», selon l’enquête. Résultat : tous ou presque ont renoncé par prudence à l’usage du drone. Forbidden Stories s’attache à poursuivre le travail de ceux qui ont été tués ou blessés – c’est ce que faisait Mahmoud Samir Isleem Al-Basos avant de perdre la vie à son tour.
«Ceux qui s’en prennent aux journalistes se moquent des déclarations et des communiqués, mais ils redoutent de voir leurs propres méfaits exposés. Notre rôle n’est pas de faire du plaidoyer, mais de révéler l’information que certains voudraient cacher», insiste Laurent Richard. «Chaque journaliste tué mérite une enquête», abonde Hoda Osman, rédactrice en chef d’ARIJ, le réseau de journalistes d’investigation arabes, qui participe au Gaza Project.