La foule attend depuis des heures sous la pluie. La file s’étend sur plusieurs centaines de mètres sur les trottoirs autour de la salle où près de 10 000 personnes s’apprêtent à encourager la candidate démocrate pour l’élection présidentielle, Kamala Harris, mardi 30 juillet à Atlanta, dans le sud-est des Etats-Unis. Les gradins et la fosse se remplissent, se colorent d’affiches «Kamala». «Je n’ai jamais vu ce niveau d’enthousiasme», assure Will Davis, 62 ans, cadre du Parti démocrate de Géorgie, une veste à rayures bleue et blanche assortie à son chapeau.
L’ambiance fait oublier à Elizabeth, 46 ans, institutrice, ses craintes après le désistement du président sortant, Joe Biden. «J’étais stressée et effrayée. Désormais, quand j’allume la télé ou vais sur les réseaux sociaux, je vois toute cette énergie. Je me sens revigorée. Je suis venue ici pour être partie prenante de ce moment», dit-elle. L’attente dure plusieurs heures mais personne ne s’ennuie. À chaque nouveau morceau, hip-hop, rap ou rock, des militants se lèvent pour danser, puis attrapent d’autres personnes du regard, qui miment à leur tour leurs pas de danse. Whitaker Swann, chemise bleu clair, est venu avec sa mère. L’étudiant en sciences politiques «s’identifie» plus facilement à Kamala Harris que Joe Biden «qui était trop vieux». «Kamala Harris est plus en phase avec ma génération, elle a plus d’énergie.»
Une ambiance «contagieuse» pour Angela Engram, 59 ans, fonctionnaire à la retraite. «Si vous m’aviez demandé il y a un an si c’était le moment d’avoir une femme présidente, je vous aurais dit que ça ne l’était pas», raconte-t-elle. Sauf qu’aujourd’hui, tout a changé. L’idée d’avoir une femme afro-américaine à la tête du pays lui fait voir «un avenir radieux». «Le pays est prêt pour un changement. On est fatigué de notre système, de la polarisation de la politique. Tous les jours, on voit à la télé que le Congrès est bloqué, la politique a pris le dessus sur le peuple. On est fatigués d’être fatigués», explique-t-elle, un béret rose sur la tête, avec le logo de sa sororité de ses années universitaires.
«Freedom» de Beyoncé
Sur scène, une femme au micro invite à participer aux efforts de la campagne démocrate : «On a 98 jours [avant l’élection présidentielle] pour tout régler.» Puis le gratin des personnalités démocrates de Géorgie monte tour à tour sur l’estrade. Le maire d’Atlanta, Andre Dickens, les deux sénateurs, Jon Ossoff et Raphael Warnock, et Stacey Abrams, ancienne candidate au poste de gouverneur et héroïne des progressistes pour son inlassable travail pour promouvoir l’accès au vote. Tous répètent le même message : l’élection présidentielle se jouera en Géorgie – dans cet Etat clé, Joe Biden l’avait emporté avec seulement 12 000 voix d’écart en 2020. Le sénateur et pasteur afro-américain Raphael Warnock, pose ses mains sur le pupitre, et raconte «une des choses les plus incroyables» de son mandat. Son vote pour valider la nomination par Joe Biden de la première femme afro-américaine à siéger à la Cour suprême, Ketanji Brown Jackson.
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Puis les costumes des politiques laissent place à des vestes d’un bleu plus saillant de danseuses, venues accompagner la rappeuse Megan Thee Stallion. Le public se déhanche. Des bracelets, colliers brillants et lunettes de soleil prennent la relève : le rappeur Quavo, membre du groupe Migos, n’entame pas de couplet, mais prend solennellement la parole pour dénoncer la violence des armes à feu.
Le titre Freedom de Beyoncé retentit. Les hurlements de la foule saturent les micros. Kamala Harris marche vers le centre de la scène, salue le public de la main. Un immense sourire. Elle entame son discours sur son expérience de procureure de San Francisco et de Californie, rappelle qu’elle n’a cessé de s’attaquer aux «prédateurs» responsables de violences sexuelles, aux «escrocs qui arnaquent des consommateurs», et aux «tricheurs qui n’ont pas respecté les règles pour leurs propres fins». «Ecoutez-moi quand je vous dis : je connais le type de personne qu’est Donald Trump. J’ai eu affaire à des gens comme lui toute ma carrière. […] Donald Trump vient d’être condamné pour fraude, 34 chefs d’inculpations.» «Enfermez-le», répond la foule en chœur.
Encadrer la vente d’armes à feu
La candidate embraye sur l’immigration, thème pourtant épineux chez l’électorat démocrate : «Donald Trump se fiche de la sécurité aux frontières, il ne se soucie que de lui.» Elle en veut pour preuve la proposition de loi bipartisane sur l’immigration soutenue par Joe Biden, rappelant que «certains des républicains les plus conservateurs à Washington l’ont soutenue» avant que Donald Trump ne la «fasse couler». Pendant vingt minutes, Kamala Harris martèle qu’elle veut rétablir le droit à l’avortement dans l’ensemble du pays et encadrer la vente d’armes à feu (en exigeant une vérification des antécédents et en interdisant la vente de semi-automatiques). Elle reconnaît que le coût de la vie est trop élevé, et propose de s’attaquer aux «big pharma» (les méga-compagnies pharmaceutiques) et aux profits des grandes entreprises. «Est-ce qu’on croit en la promesse de l’Amérique, et est-on prêt à se battre pour ? Quand on se bat, on gagne !»
La foule s’écoule sur la place devant la sortie. Andrea Middleton, 46 ans, discute avec ses amis. «Kamala Harris a su entrer en contact avec chaque personne présente, et parler de tous les sujets importants», se réjouit cette dame qui travaille dans une association qui lutte contre les discriminations raciales. «Notre pays a beaucoup de diversité, mais elle ne se voit pas chez nos dirigeants», regrette-t-elle. Elle est venue aujourd’hui au meeting «voir l’histoire se faire».
À quelques pas, Brenda Roberts, 68 ans, un chemisier bleu, reprend ses esprits, assise sur un muret. «En tant que femme noire, je suis inquiète d’un retour de Donald Trump, j’ai peur qu’il nous retire certains de nos droits. Il y a toujours la question de la couleur de la peau et de la classe, et avec lui les gens se permettent de dire à voix haute ce qu’ils ne diraient pas d’habitude», s’inquiète la retraitée. A un moment, après avoir fait la queue sous la pluie, attendu, puis être réorientée de porte en porte dans cette immense foule, elle s’est dit qu’elle n’aurait pas dû venir. Mais après le meeting, elle n’a plus aucun regret. Assister à ce rassemblement était «la chance de sa vie», dit-elle.