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Libération
Récit

Au Qatar, l’Iran vise la grande base américaine des Etats-Unis sans faire de victimes

Quarante-huit heures après le bombardement des Etats-Unis sur des sites nucléaires iraniens, Téhéran a réagi lundi en tirant des missiles contre la principale position militaire américaine au Moyen-Orient. Une réplique qui semble calibrée pour éviter l’escalade.
Missiles intercepteurs dans le ciel de Doha, au Qatar, après l’annonce de tirs iraniens sur la base d’Al-Udeid, lundi. (Reuters)
publié le 23 juin 2025 à 21h06

C’était la cible américaine la plus évidente pour une riposte : lundi 23 juin, l’armée iranienne a tiré une salve de missiles en direction de la base américaine d’Al-Udeid, située sur le territoire qatari, de l’autre côté du golfe arabo-persique. La plupart des projectiles ont été interceptés en vol par la défense antiaérienne qatarie, comme en témoignent des vidéos filmées de Doha, la capitale. «A cette heure, aucune victime américaine n’est signalée», a affirmé le Pentagone une heure plus tard.

Téhéran a immédiatement revendiqué l’attaque, qualifiée de «puissante et dévastatrice», qui survient quarante-huit heures après le bombardement américain des sites nucléaires de Fordo, Natanz et Ispahan, et alors que lundi, Israël a mené d’intenses frappes sur Téhéran, ciblant notamment la prison d’Evin et le site nucléaire de Fordo. Par précaution, l’Irak, les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Koweït voisins, qui abritent également des bases militaires américaines, ont annoncé lundi soir la fermeture de leurs espaces aériens.

«Violation flagrante de la souveraineté» du Qatar

En faisant d’Al-Udeid la première cible de sa riposte, l’Iran s’attaque au principal point d’ancrage de la présence militaire américaine dans la région. Siège du «CentCom», le commandement central de l’armée américaine au Moyen-Orient, la gigantesque base située dans le désert au sud-ouest de Doha peut accueillir plus de 10 000 soldats et des dizaines d’avions, dont la majorité avaient d’ailleurs été retirés du tarmac ces derniers jours par précaution, selon des images satellites. Cruciale dans la guerre en Afghanistan, en Irak ou dans la bataille de Mossoul contre l’Etat islamique, la base d’Al-Udeid avait aussi accueilli des milliers d’Américains et de réfugiés en transit lors du retrait chaotique de Kaboul, en août 2021.

Le porte-parole du ministère qatari des Affaires étrangères a annoncé que «les défenses aériennes du Qatar ont déjoué l’attaque et intercepté les missiles iraniens», dénonçant une «violation flagrante de la souveraineté de l’Etat du Qatar, de son espace aérien, du droit international et de la Charte des Nations unies». Furieux, Doha «se réserve le droit de riposter directement, d’une manière équivalente à la nature et à l’ampleur de cette agression éhontée».

Pour le Qatar, acteur crucial des médiations américaines avec les talibans, avec le Hamas et avec l’Iran sur le programme nucléaire, l’attaque iranienne a un goût amer. Le mois dernier, l’émirat misait encore, lors de sa tournée régionale, sur un président Trump «faiseur de paix» et homme d’affaires. Et voilà que l’escalade régionale menace son territoire. «Il est important de rappeler qu’Al-Udeid est une base qatarie qui accueille une base américaine. Il s’agit donc d’une attaque directe de l’Iran contre le Qatar, note Andreas Krieg, maître de conférences au King’s College de Londres, sur X. Selon le chercheur, «l’Iran choisit la ligne de conduite la plus risquée dans une tentative désespérée de rétablir une forme de dissuasion face à Trump».

Ne pas appeler une contre-réponse américaine

Téhéran a précisé dans un communiqué que son attaque visait exclusivement les intérêts américains, mais ne constituait aucune menace pour le Qatar, «notre voisin ami et frère». Selon le New York Times, l’Iran aurait même prévenu les autorités qataries de l’imminence des tirs, afin de minimiser les pertes. «Ces responsables [iraniens] ont affirmé que l’Iran devait symboliquement riposter aux Etats-Unis, tout en le faisant de manière à offrir à toutes les parties une porte de sortie, écrit le quotidien américain. Ils ont décrit cette stratégie comme similaire à celle de 2020, lorsque l’Iran avait prévenu l’Irak avant de tirer des missiles balistiques sur une base américaine en Irak, après l’assassinat de son général en chef [Qassem Soleimani].»

Sous-entendu : la réplique iranienne aurait été soigneusement calibrée et circonscrite pour ne pas appeler une contre-réponse américaine, évitant ainsi une escalade militaire dont le régime islamique sortirait forcément perdant. Cité anonymement par l’agence Reuters, un haut responsable iranien a d’ailleurs semblé dès lundi soir ouvrir la porte à une reprise du dialogue, indiquant que l’Iran avait «la rationalité nécessaire» pour renouer avec la voie diplomatique «après avoir puni l’agresseur». A condition cependant que cessent les frappes israéliennes et américaines.