Si on écoute Donald Trump, son ombre n’a jamais cessé de planer sur le chaos de Gaza, à chacune des étapes du conflit. A en croire l’entretien qu’il a accordé jeudi 23 octobre à l’influent magazine américain Time, c’est grâce à lui et lui seul que les armes dans l’enclave palestinienne ont fini par se taire, après la mort de plus de 68 000 personnes. «Bibi, tu ne peux pas lutter contre le monde, aurait-il lancé au Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, lors d’un appel dans la soirée du 4 octobre. Tu peux mener des batailles individuelles, mais le monde est contre toi.»
L’homme fort d’Israël aurait tenté de riposter, mais le locataire de la Maison Blanche assure qu’il n’a rien laissé passer. Avant de se lancer dans un monologue tonitruant, rappelant tout ce qu’il avait accompli pour l’Etat hébreu, son allié historique, en tant que Président : le transfert de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem en passant par la négociation des accords d’Abraham jusqu’à sa participation aux frappes contre l’Iran en juin. Selon le Time, le président américain, très populaire en Israël, a toujours soutenu Benyamin Nétanyahou en public tout en exerçant une pression constante en privé pour mettre fin aux combats. «Cela aurait pu durer des années. Cela aurait duré des années. Mais je l’ai arrêté, et tout le monde s’est rallié à moi», insiste Trump. Pour garder ce soutien, le dirigeant israélien n’avait pas d’autre choix que de signer le pacte.
Cessez-le-feu fragile
L’accord entre Israël et le Hamas est finalement entré en vigueur le 10 octobre, mettant fin à la plus longue guerre de l’histoire de l’Etat hébreu. Depuis, le mouvement islamiste a libéré les otages israéliens vivants (au nombre de 20) en échange de près de 2 000 prisonniers palestiniens. Mais depuis, la trêve vacille : les deux parties s’accusent mutuellement de violations du cessez-le-feu et le Hamas tarde à restituer les corps de certains captifs, arguant de difficultés pour trouver les dépouilles dans le territoire ravagé par la guerre. En représailles, Benyamin Nétanyahou a ralenti l’acheminement de l’aide humanitaire, déjà insuffisante pour les 2 millions de Gazaouis.
Un mois avant la signature de l’accord, un incident était venu rebattre les cartes : des frappes israéliennes, menées le 9 septembre sans l’aval de Washington, avaient visé des responsables du Hamas installés à Doha, au Qatar. Furieux de voir un allié pris pour cible, Donald Trump avait aussitôt dénoncé «une erreur tactique» – tout en y voyant l’occasion d’alerter les dirigeants arabes sur le risque d’un embrasement régional. «C’est l’un des éléments qui nous a tous rassemblés», confie-t-il au Time. Profitant de la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU, Jared Kushner, gendre et ancien conseiller de Trump, et Steve Witkoff, son émissaire au Moyen-Orient, ont alors réuni autour d’eux médiateurs qataris, émissaires égyptiens et turcs, ainsi que des responsables israéliens, pour poser les bases d’un plan en vingt points qui a permis de sceller l’accord.
Les négociations ont alors pris de l’ampleur : la Turquie et le Qatar ont mis la pression sur le Hamas, tandis que Donald Trump adoptait une approche directe, avertissant le groupe islamiste qu’une tentative de sabotage de l’accord se solderait par une «destruction totale». «J’ai dit : “Plus jamais ça. Vous nous rendez ces foutus otages, tous”», a confié le milliardaire américain. Une menace d’autant plus crédible que Donald Trump avait eu recours à la force militaire, en juin, contre les installations nucléaires iraniennes.
«Flatterie et menace de la force»
Cette intransigeance, qui peut varier soudainement, illustre la manière dont le 47e président des Etats-Unis entend exercer son influence au Moyen-Orient : l’utilisation de «son sens aigu des négociations immobilières» ainsi que son «instinct pour influencer, amadouer ses interlocuteurs par la flatterie et la menace de la force», écrit la revue américaine. Cette diplomatie lui a permis de renforcer les liens de Washington avec le Qatar, mais aussi avec les Emirats arabes unis et l’Arabie Saoudite, que Trump estime capable de normaliser ses relations avec Israël avant la fin de l’année.
Avec son humilité coutumière, le dirigeant américain rappelle l’ingrédient essentiel de cette reconfiguration régionale : «La chose la plus importante, c’est qu’ils doivent respecter le président des Etats-Unis. Le Moyen-Orient doit le comprendre. C’est presque le Président plus que le pays qui compte.» Mais de nombreux détails concernant l’après-guerre à Gaza restent encore à régler, notamment l’absence d’un leadership palestinien unifié. Lors de son entretien, Donald Trump souligne son respect pour Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne de 89 ans, tout en doutant de sa capacité de pouvoir diriger la bande de Gaza. Il évoque même la possibilité de libérer Marwan Barghouti, ancien leader de la deuxième Intifada, emprisonné en Israël depuis plus de vingt ans, et l’une des personnalités les plus respectées de l’opinion palestinienne. Quant aux projets d’annexion de la Cisjordanie, le président américain est clair : «Cela n’arrivera pas […] Israël perdrait tout le soutien des Etats-Unis si cela se produisait.»