Gaza n’a pas attendu le 7 Octobre pour que son nom raconte la guerre et les bombardements. Mais avant l’attaque meurtrière et terroriste du Hamas, puis l’interminable réplique israélienne qui aura fait plus de 46 000 morts, il y avait bien une vie dans ses immeubles en pagaille. Un front de mer. Des commerces. Et même des hôtels internationaux, quoique régulièrement déserts. Il n’en reste rien ou presque. Dans les jours à venir, si l’on en croit l’accord de trêve entre Israël et le Hamas annoncé mercredi 15 janvier par le médiateur qatari, l’enclave palestinienne devrait enfin connaître un répit. Mais la bande de Gaza n’est plus qu’un amas de ruine, et le bâti se résume aujourd’hui à des centaines de milliers de tentes qui accueillent tant bien que mal une population exilée sur son propre territoire.
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Faute d’accès pendant ces quinze mois de guerre, l’ampleur des destructions est particulièrement difficile à estimer. Et l’analyse satellitaire, privilégiée jusqu’à cet été faute d’études possibles sur le terrain, se complique dans un territoire où s’affichent essentiellement des décombres. Celle-ci donne tout de même une idée, même parcellaire, de l’ampleur du désastre. Le neuvième et dernier bulletin en date de l’Unosat, le centre satellitaire des Nations unies, fait état via des images prises début septembre de 66 % des bâtiments détruits ou endommagés par l’offensive de Tsahal. En collaboration avec la FAO (l’antenne onusienne pour l’alimentation et l’agriculture), il estime aussi à 68 % la part de champs devenus incultivables ou durablement contaminés.
«La gravité de la dégradation des terres agricoles dans la bande de Gaza dépasse tout ce que l’on avait connu jusqu’à présent, déclarait alors Beth Bechdol, directrice générale adjointe de la FAO. Cette situation soulève de fortes inquiétudes sur le potentiel actuel et futur de production alimentaire, car l’aide alimentaire ne peut à elle seule répondre aux besoins quotidiens de la population de Gaza. La destruction des terres agricoles accroît le risque imminent de famine dans toute la bande.»
Bilan sous-évalué
Depuis cette dernière étude, sous-évaluée car volontairement prudente, l’offensive israélienne a continué. En particulier dans le nord de la bande, de loin la zone la plus durement touchée par les bombardements depuis le début de la guerre. Entre la fin du mois de septembre et le début du mois d’octobre, la zone septentrionale a fait l’objet d’une nouvelle opération militaire particulièrement dure, notamment à Jabalia et Beit Lahia. Deux localités où les civils ont été sommés, une nouvelle fois, d’évacuer début octobre, et où les frappes ont continué de plus belle. Selon de nombreux médias, dont quelques-uns israéliens, il s’agissait alors d’acculer les derniers combattants du Hamas présents en fermant hermétiquement la zone et en la pilonnant sans relâche pour les pousser à la reddition.
Dans une moindre échelle, les bombardements ont continué dans le sud. A Rafah, longtemps resté une sorte d’immense camp de réfugiés à ciel ouvert, collée à la frontière égyptienne, jusqu’à ce que Tsahal y rentre au mois de mai malgré les avertissements unanimes de ses alliés occidentaux qui en faisaient une ligne rouge. Mais aussi dans plusieurs zones dites «humanitaires» entourant les principales localités urbaines de la partie méridionale de l’enclave palestinienne.
Longue reconstruction
Pendant tout l’automne, l’armée israélienne a aussi continué à imposer ses zones tampons à grand renfort de bulldozers. Tout le long de la frontière avec Israël, où tout a été strictement rasé. Mais aussi dans le fameux corridor de Netzarim, qui sépare Gaza en deux, et s’est retrouvé au cœur des dernières négociations. Selon des images satellitaires analysées par le New York Times, plus de 600 bâtiments ont été entièrement détruits et débarrassés entre septembre et décembre 2024 autour de ce qui fut jadis une route pour accueillir au moins 19 bases militaires et des douzaines de plus petites infrastructures. Une manière d’organiser son opération sur le terrain tout en coupant le chemin du retour pour les habitants évacués dans le sud depuis le début de l’offensive.
Cette stratégie de destruction systématique du bâti a été maintes fois qualifiée, mobilisant des concepts comme l’«urbicide» ou le «domicide». Il s’agirait donc de rendre inhabitable voire invivable cette enclave côtière à long terme. En mai 2024, soit dans une autre vie à l’échelle de cette guerre superlative, l’ONU estimait déjà qu’il faudrait plus de seize ans pour reconstruire Gaza. Il n’y a pas eu de nouvelles études depuis, mais chaque mois de destructions repousse mécaniquement de plusieurs années cette estimation. Pour les Gazaouis reclus dans une bande de poussière depuis tant de mois, la cessation des combats signe la fin des bombes, du bourdonnement des drones, du bruit des rafales et des morts en pagaille. Mais elle signe aussi le début d’un impossible retour et certainement pas la fin des privations. L’ampleur du désastre reste encore à définir. Et l’horreur est toujours plus bruyante lorsqu’elle est restée si longtemps contenue.