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Libération
Reportage

Dans l’hôpital Al-Shifa de Gaza, des milliers de civils pris au piège

Guerre au Proche-Orientdossier
Trente-six jours après le début de la guerre entre Israël et le Hamas, des milliers d’hommes, femmes et enfants sont cernés par les combats et les frappes incessantes dans le principal hôpital de Gaza.
Dans l'hôpital Al-Shifa de Gaza, vendredi 10 novembre. (Khader Al Zanoun /AFP)
par AFP
publié le 11 novembre 2023 à 16h28

Informer depuis Gaza est extrêmement compliqué. Aucun journaliste ne peut y entrer, à l’exception de brèves incursions au sein d’unités de l’armée israélienne. Seuls les journalistes qui étaient sur place avant le 7 octobre continuent d’informer sur la situation. Parmi eux, des reporters de l’Agence France-Presse, dont nous publions ce jour le reportage.

Ils sont des milliers, pris au piège : des familles pensaient être à l’abri dans l’hôpital Al-Shifa de Gaza mais les combats sont aux portes de l’établissement et les frappes, incessantes. Au point que plus personne n’ose bouger. «Si on sort, on va être fauchés par les éclats d’obus», affirme Ahmed al-Chawa, 18 ans, venu à Al-Shifa après avoir fui son quartier de Tel Al-Hawa, dans la ville de Gaza où les troupes israéliennes combattent le Hamas.

Mais si ce lycéen reste à l’intérieur, il court le risque de se retrouver aussi sous les bombes alors que pour le 36e jour consécutif, la guerre fait rage dans la bande de Gaza. Le 7 octobre, le Hamas, au pouvoir dans le petit territoire palestinien, a perpétré une attaque sanglante et d’une ampleur inédite en Israël, qui a fait, selon les autorités israéliennes 1 200 morts, en majorité des civils. Les frappes israéliennes de représailles ont fait plus de 11 000 morts à Gaza, selon le ministère de la Santé du Hamas.

Ambulances à l’arrêt

Comme tous les autres déplacés d’Al-Shifa, Ahmed al-Chawa a déjà quitté la cour de l’hôpital pour s’installer tant bien que mal dans les services bondés de l’établissement. Car dehors, les éclats d’obus pleuvaient sur les déplacés et leurs frêles tentes, raconte-t-il, selon un des témoignages recueillis par un journaliste collaborant avec l’AFP. Partout, dans les couloirs, entre les lits, des malades, des blessés, des familles s’entassent.

Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha) rapporte que «les bombardements israéliens autour des hôpitaux de la ville de Gaza et dans le nord de la bande de Gaza se sont intensifiés» depuis vendredi 10 novembre. «Plusieurs hôpitaux ont été directement touchés», ajoute l’agence onusienne, portant à «20 sur 36 le nombre d’hôpitaux hors service dans la bande de Gaza».

Samedi à la mi-journée, les milliers de déplacés de l’hôpital Al-Shifa tentent de s’entendre au milieu d’explosions assourdissantes. «Il y a des frappes à 10 mètres de l’hôpital», assure Ahmed al-Chawa en tentant de couvrir avec sa voix les tirs d’artillerie. «La situation est très très dangereuse», poursuit celui qui tente d’évacuer sa famille pour prendre la route vers le sud, comme l’ordonne depuis des semaines l’armée israélienne. Celle-ci progresse depuis le nord et ne cesse de s’enfoncer, selon elle, dans «le cœur de la ville de Gaza».

Mohammed, lui, dit qu’il «[restera] jusqu’au bout, quoi qu’il arrive». Il est ambulancier et il ne veut pas abandonner Al-Shifa même si pour le moment, il n’arrive pas à faire son travail. «On ne peut pas aller chercher les blessés, depuis hier, des snipers tirent directement sur nos ambulances», assure-t-il.

Opérer à la bougie

L’armée israélienne, elle, accuse depuis des années le Hamas d’«utiliser de façon cynique des hôpitaux» en y cachant des combattants, des armes ou des tunnels. Et elle a confirmé avoir frappé le 3 novembre une ambulance devant Al-Shifa – «utilisée par une cellule terroriste du Hamas», affirme Tsahal. Malgré tout, le directeur de l’hôpital, Mohammed Abou Salmiya, le répète : «Nous resterons et nous ne partirons pas d’ici, quel qu’en soit le prix.» «Nous opérerons à la bougie», promet-il : durant la nuit «l’électricité a été coupée pendant quatre heures» après qu’un «générateur a été touché par les frappes».

Au matin, à 10h25 puis à 10h45 (heure locale), le gouvernement du Hamas a annoncé «des frappes» et des «bombardements de l’occupant [israélien]» sur Al-Shifa et son «département de chirurgie». Samedi, selon le porte-parole du ministère de la Santé du Hamas, Ashraf al-Qidreh, «une personne a été tuée et de nombreuses autres blessées dans des frappes sur le bâtiment des soins intensifs» où se trouvent, selon l’hôpital, une soixantaine de patients. Samedi, le directeur général du Comité international de la Croix-Rouge, Robert Mardini, s’est déclaré, au nom de son organisme, «choqué et atterré par les images et les informations venant de l’hôpital Al-Shifa».

L’armée israélienne a indiqué dans la matinée que deux routes pour quitter la ville de Gaza vers le sud seraient ouvertes, comme la veille, jusque dans le milieu d’après-midi. Vendredi 10 novembre, «30 000 nouvelles personnes ont pu fuir le nord via ce couloir», rapporte l’Ocha. Mais, poursuit l’organisation, «vers 15 heures, plusieurs explosions ont été enregistrées dans ce couloir, faisant des victimes selon les premiers bilans».