«Finally» – enfin. C’est le premier mot qu’a dit Bashar al-Belbeisi en serrant dans les bras son amie Catherine Le Scolan-Quéré, à son arrivée à Rennes ce jeudi 31 juillet. Après un mois de mobilisation menée par la médecin bretonne, le danseur palestinien, grièvement blessé à la jambe dans le bombardement israélien qui a pulvérisé le café Al-Baqa, a fini par faire l’objet d’une évacuation sanitaire via la Jordanie. Il a atteint la Bretagne au milieu de la nuit, et rejoint le lit qui l’attendait dans un hôpital rennais, où le service de chirurgie orthopédique, réparatrice et traumatologique va le soigner et tenter de sauver sa jambe en miettes.
Pour le moment, raconte Catherine Le Scolan-Quéré à Libération à sa sortie de l’hôpital, l’heure est à un «premier nettoyage» pour éviter une infection. Et surtout à apaiser le jeune homme de 24 ans, qui vient de passer un mois à souffrir d’une blessure ouverte et d’un os brisé en plusieurs morceaux sans antalgiques, introuvables à Gaza. «La chose essentielle, c’est qu’ils ont calmé immédiatement la douleur. C’était la première étape, dit-elle. Dans les jours qui viennent, on pourra savoir le pronostic et mieux cerner la suite du traitement.» Vendredi, direction le bloc où les chirurgiens pourront voir ce qu’ils décident de faire.
«Une mobilisation énorme» en Bretagne
Pharmacien de formation et passionné par la danse folklorique palestinienne, Bashar al-Belbeisi avait monté une troupe de danse, Al-Furzan. «Il formait les enfants à la danse avant le 7 Octobre et encore plus depuis. Il me disait que la danse l’aidait à résister. C’est quelqu’un de très altruiste et habité par son art», racontait il y a dix jours à Libération Catherine Le Scolan-Quéré. La Rennaise avait rencontré le chorégraphe en 2023, quand ce dernier était venu danser à Morlaix (Finistère). Avant même l’annonce de sa blessure, la médecin tentait de faire évacuer la famille al-Belbeisi vers le territoire français. L’attaque sur le café Al-Baqa a ajouté de l’urgence à l’urgence, et Catherine Le Scolan-Quéré a multiplié les appels à l’aide, notamment pour dire à quel point un rapatriement rapide était essentiel pour sauver cette jambe sans laquelle le jeune homme ne pouvait pas danser.
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Finalement, après de longues semaines d’incertitude et «une mobilisation énorme» en Bretagne, la France a donc accepté d’entrouvrir ses portes pour laisser entrer Bashar al-Belbeisi. La date du 30 juillet, évoquée très tôt par l’OMS, qui gère des évacuations en lien avec l’Union européenne, mais qui semblait beaucoup trop tardive aux soutiens du jeune homme et aux docteurs gazaouis confrontés à une blessure qu’ils n’étaient pas en capacité de soigner faute de matériel, est restée.
«Chaîne de solidarité»
Le coordinateur de Médecins sans frontières en Jordanie, qui a accompagné Bashar jusqu’au relais de l’ambassade française, évoque auprès de Libération cinq évacuations sanitaires vers le pays le même jour – en plus du danseur, quatre enfants blessés de guerre évacués via Israël. Jusqu’ici, selon nos informations, la totalité des blessés accueillis en France depuis le début de la guerre – une vingtaine – étaient des mineurs. Le cas de Bashar est donc inédit. Catherine Le Scolan-Quéré espère qu’il ne sera pas le dernier : «Ça ne peut que donner de l’espoir pour tous les blessés à Gaza. Et on peut que féliciter les autorités françaises et les encourager à accueillir d’autres blessés de Gaza.» Mi-juillet, 12 000 patients attendaient d’être évacués hors de Gaza pour accéder à des soins médicaux vitaux, alertait MSF, qui demandait aux pays d’accueillir davantage de blessés. Ce qui semble commencer à être le cas, selon le coordinateur : «Nous avons beaucoup d’autres cas, aujourd’hui nous avons l’Espagne, les Etats-Unis, la Norvège. C’est une grosse journée.»
«Que d’efforts», soupire aujourd’hui Catherine Le Scolan-Quéré, émue mais fière de la «chaîne de solidarité» qui s’est mise en place. «Mais c’est pas fini, il faut qu’on l’accompagne encore pendant un bon moment avant qu’il redanse.» De toute façon, pour la médecin, la mobilisation ne s’arrête pas là. Déjà parce que Bashar a été rapatrié seul. «On espère un regroupement familial, dit-elle. Il n’a que 24 ans, il est tout seul dans un pays étranger avec une langue qu’il ne maîtrise pas. On veut qu’ils se retrouvent tous en France.» Et aussi parce qu’il n’est pas le seul dans un besoin désespéré de soin, malgré les efforts des médecins gazaouis, qui «font le maximum mais sont dépassés» – celle qui a effectué une mission à l’hôpital Nasser de Gaza en a particulièrement conscience. «On continue, dit-elle. On ne s’arrêtera pas tant que le massacre ne s’arrêtera pas.»