C’est depuis les tunnels de la bande de Gaza, où il serait terré depuis les attaques terroristes du 7 octobre, que Yahya Sinwar, leader du Hamas dans l’enclave, a mené une correspondance très particulière avec les dirigeants du mouvement islamiste sur les négociations de trêve, selon les dizaines de messages auxquels le Wall Street Journal a eu accès. Ces dirigeants étaient alors – et sont toujours – chargés de relayer sa parole aux médiateurs égyptiens et qataris, les Américains faisant de leur côté l’interface avec Israël pour tenter de mettre fin à ce conflit qui a tué plus de 37 000 personnes à Gaza, selon le ministère de la Santé de l’enclave contrôlé par le Hamas.
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Dans cette correspondance très particulière, Sinwar montre «un froid mépris pour la vie humaine» et fait «un calcul selon lequel davantage de combats – et davantage de morts civiles palestiniennes – joueraient à son avantage», détaille le quotidien américain. Le leader cite également les pertes civiles liées à la guerre d’Algérie, où plusieurs centaines de milliers de personnes sont mortes en combattant pour l’indépendance, affirmant : «Ce sont des sacrifices nécessaires.» «Nous avons les Israéliens exactement là où nous les voulons», déclare-t-il encore, alors que près de 1 200 personnes sont mortes dans les attaques du 7 octobre et que 252 ont été prises en otage.
«Les choses sont devenues incontrôlables»
Bien qu’il ait planifié et donné son feu vert à ces assauts en territoire israélien, les premiers messages adressés aux négociateurs du cessez-le-feu montrent que Sinwar semblait «surpris par la brutalité de la branche armée du Hamas et d’autres Palestiniens, et par la facilité avec laquelle ils ont commis des atrocités civiles», selon le WSJ. «Les choses sont devenues incontrôlables», a-t-il écrit dans l’une de ses missives, faisant référence aux gangs prenant en otages des femmes et des enfants civils. «Les gens se sont laissés entraîner là-dedans, et cela n’aurait pas dû arriver.»
Cette correspondance montre également que Sinwar aurait mal interprété la réaction d’Israël au 7 octobre, qu’il pensait moindre – Nétanyahou a depuis fait de la destruction du Hamas son objectif ultime, et de la pression militaire la seule façon de libérer les otages encore détenus par le groupe. Le leader palestinien semble avoir aussi surestimé le soutien que l’Iran et la milice libanaise du Hezbollah étaient prêts à lui offrir, tous deux n’étant finalement pas entrés directement dans le conflit.
Toujours selon ces mêmes messages, les dirigeants politiques du Hamas auraient commencé dès le mois de novembre à prendre en privé leurs distances avec lui, affirmant que Sinwar avait lancé les attaques du 7 octobre sans le leur dire. S’en est suivi le cessez-le-feu conclu fin novembre : il n’a duré qu’une semaine.
Une correspondance par code
Les dirigeants politiques du groupe ont alors commencé à rencontrer début décembre d’autres factions palestiniennes pour discuter de réconciliation et d’un plan d’après-guerre. Sinwar n’a pas été consulté, selon le WSJ, qualifiant même cette décision de «honteuse et scandaleuse». «Tant que les combattants sont toujours debout et que nous n’avons pas perdu la guerre, de tels contacts doivent cesser immédiatement, a-t-il affirmé. Nous avons les capacités nécessaires pour continuer à nous battre pendant des mois.»
Le 2 janvier, un haut dirigeant du Hamas, Saleh al-Arouri, est tué dans une frappe à Beyrouth, présumée israélienne. Sinwar change alors sa façon de communiquer, utilisant «des pseudonymes» et relayant «des notes uniquement par l’intermédiaire d’une poignée d’assistants de confiance et via des codes, alternant entre l’audio, les messages adressés à des intermédiaires et les messages écrits», selon des sources relayées par le WSJ.
Interview
Après des mois de négociations, les Etats-Unis examinent ce mercredi 12 juin la réponse du Hamas à un plan de cessez-le-feu dans la bande de Gaza proposé le 31 mai par le président américain, Joe Biden, et présenté comme émanant d’Israël. La réponse donnée la veille par le mouvement islamiste est à la fois «responsable, sérieuse et positive» et peut «ouvrir la voie à un accord», selon un dirigeant du Hamas – le contenu n’a cependant pas été rendu public.
Les messages révélés par le WSJ illustrent toutefois le principal point de blocage, toujours en cours. L’objectif ultime de Sinwar, précise le quotidien américain, «semble être d’obtenir un cessez-le-feu permanent qui permettrait au Hamas de déclarer une victoire historique en survivant à Israël et de revendiquer le leadership de la cause nationale palestinienne». Le Premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, lui, s’oppose toujours à la fin définitive du combat avant ce qu’il appelle une «victoire totale» sur le Hamas.
Les missives secrètes de Sinwar indiquent également qu’il est, lui aussi, prêt à mourir au combat. Dans un récent message adressé à ses alliés, le chef du Hamas a comparé la guerre à une bataille du VIIe siècle à Karbala, en Irak, lorsque Hussein, petit-fils du prophète, fut massacré par les troupes du puissant calife omeyyade Muawiya, fondant le schisme entre les sunnites et les chiites. «Nous devons avancer sur le même chemin que celui que nous avons commencé [à emprunter], a écrit-il. Ou que ce soit un nouveau Karbala.»