L’annonce tant attendue de la fin des combats armés du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) jeudi 27 février 2025 par son leader, Abdullah Ocalan, laisse la communauté kurde à Paris quelque peu dubitative. Quelques heures à peine après la diffusion télévisée de la décision historique, les locaux du Conseil démocratique kurde de Paris dans lesquels s’étaient rassemblées des dizaines de personnes pour suivre en direct la déclaration, sont déserts. Pour Libération, Berivan Firat, porte-parole du Conseil démocratique kurde en France, apporte des nuances à cette annonce et revient sur la nécessité de convenir d’un accord de paix final avec la Turquie.
Comment a été reçue l’annonce jeudi après-midi au Conseil démocratique kurde ?
Le centre était plein. Tous les gens étaient là pour la regarder en direct. Il y a eu des applaudissements quand la photo d’Ocalan et de la délégation est apparue. Mais en même temps, il y avait un sentiment général d’appréhension. Beaucoup ne comprenaient pas, et encore maintenant, je reçois des appels de personnes qui me demandent d’expliquer la situation. Certains sont partis du local de l’association en plaisantant et en disant que c’était le moment de prendre des billets pour retourner en Turquie.
Quel est votre ressenti sur cette dissolution ?
Contrairement au terme employé massivement par l’opinion publique et la presse en France, ce n’est pas une dissolution. C’est un appel au PKK à se rassembler en congrès pour décider si les conditions juridiques et démocratiques côté turc sont remplies, pour, ensuite, pouvoir dissoudre et arrêter la lutte armée. Donc Abdullah Ocalan impose aussi des exigences. Un changement juridique, notamment, avec une révision de la Constitution et des quatre premiers articles qui concernent la reconnaissance de l’identité et de la langue kurdes. Mais tant que ces demandes ne sont pas satisfaites, et cela peut prendre du temps, personne ne va dissoudre l’organisation ou déposer les armes. D’ailleurs, un des membres de la délégation a souligné qu’Ocalan avait demandé à bien préciser «qu’une politique démocratique et juridique devait être mise en place». C’est la preuve que le PKK ne se dissoudra pas comme ça.
Que se passerait-il pour les Kurdes si ces conditions n’étaient pas remplies par la Turquie ?
Nous avons donné trop de notre souffrance et de nos vies, pour que, du jour au lendemain, on dépose tout et on se soumette à la Turquie. Pour quelles raisons le PKK qui a continué à résister depuis des décennies, même dans les pires conditions, face aux armes chimiques et aux bombardements constants, déposerait des armes sans avoir la moindre garantie d’une politique démocratique ? Il faut des avancées pour le peuple kurde ou pour Ocalan directement, à savoir une potentielle libération. Même s’il n’a jamais demandé quoi que ce soit pour lui-même, sa liberté est essentielle dans le processus de négociation.
Cette annonce va-t-elle marquer un tournant dans l’histoire de cet affrontement ?
Il est impossible de clore un chapitre d’un demi-siècle de lutte en quelques jours. Par ailleurs, il ne s’agit pas de la première tentative. C’est la neuvième fois depuis 1978 [date de formation du PKK, ndlr] que des pourparlers de paix sont entamés. Le premier était en 1993 et à chaque fois la Turquie a refusé. Les Kurdes continuent de se battre pour leurs droits fondamentaux et contre la violence qui leur est infligée. Cette fois-ci, c’est une initiative très importante puisqu’elle est menée avec l’Etat lui-même et pas uniquement le gouvernement. Nous avons donc un peu plus d’espoir, parce que si par exemple le gouvernement changeait demain, ces pourparlers pourraient continuer. Cette fois aussi, le PKK a mis tous les moyens sur la table pour montrer qu’il est prêt à suivre les déclarations d’Abdullah Ocalan. Alors si la Turquie joue le jeu, étape par étape et concession par concession, le PKK terminera sa mission et la lutte armée s’arrêtera.
Est-il possible d’envisager une paix durable entre les Kurdes et la Turquie ?
Faire la guerre est une chose. Mais faire la paix est encore plus compliqué. Nous avons perdu des dizaines de milliers des nôtres. Des milliers de villages ont été détruits. La guerre ne tue pas que des corps ou des bâtiments, elle détruit aussi petit à petit une société, une histoire et une identité. Alors si nous pouvions arriver à un processus de paix, personnellement je dirais que j’ai réussi ma vie et que je n’aurai pas perdu mon enfant, mort dans ces combats, pour rien… Je fais partie des personnes directement touchées par ce conflit et il y a d’autres milliers de personnes qui comme moi ont aussi perdu plusieurs de leurs enfants. Donc j’attends avec une immense détermination que la paix puisse être instaurée. Les Kurdes ont toujours voulu une coexistence pacifique. Et on continue à lutter pour que ce modèle du «vivre ensemble» soit une réalité, que ce soit en Syrie où ça a déjà un peu commencé, en Turquie ou ailleurs. On veut retourner sur nos terres, revoir les tombes de nos familles tombées au combat, vivre librement. Les gens qui ont été forcés à fuir pour leurs opinions doivent pouvoir revenir sans crainte.
Que peut-on attendre de la communauté internationale ?
On aimerait que l’Occident puisse prendre la mesure de ce qui se joue ici et lire les messages transmis par la délégation, certes, mais aussi ceux du PKK lui-même. Personne ne parle de ces conditions posées par la délégation kurde. Nous voulons pouvoir reconstruire nos terres, et cela va aussi alléger la main de l’Occident parce qu’il y aurait moins de réfugiés qui viendraient de tout l’Orient. Pour cette raison, l’Occident peut avoir un rôle clé. Les terres kurdes sont au cœur du Moyen-Orient et il est de l’intérêt de tous les partis politiques et de la stabilité générale de la région que la paix soit instaurée. De plus, la Turquie a, elle aussi, besoin de nous. Au vu de l’échiquier politique, Ankara a besoin des Kurdes pour se stabiliser.