La livre turque a retrouvé des couleurs ce mardi à la suite de mesures d’urgence annoncées par le président turc, Recep Tayyip Erdogan. Pour mettre fin à la fuite des capitaux, l’homme fort de la Turquie a annoncé l’avènement d’un système de protection contre les taux de change, visant à empêcher les pertes subies par les épargnants en raison de la volatilité du cours de la livre. D’autres mesures accompagnent cette annonce – telles qu’une baisse du taux d’imposition des entreprises ou encore la fin de l’imposition des obligations d’Etat.
Ces annonces ressemblent à un plan de la dernière chance pour sauver la monnaie nationale de l’abîme après une chute sans fin. Depuis janvier, la livre a en effet perdu 57% de sa valeur face au dollar. Cette tendance s’est accélérée ces trois derniers mois : alors qu’un euro s’échangeait contre 10 livres turques au mois de septembre, ce taux est brièvement passé sous la barre des 20 livres turques lundi. La monnaie turque enregistre ainsi la pire performance pour une monnaie émergente cette année, loin devant l’Argentine et l’Ethiopie, qui ont perdu respectivement 19% et 18% cette année.
Baisse de pouvoir d’achat
La baisse de pouvoir d’achat induite par le plongeon de la livre turque nourrit la colère de la population – des manifestations contre la politique économique ont ainsi eu lieu à Istanbul comme à Ankara. Le président Erdogan, dont la popularité a chuté à mesure que la livre turque a décru, joue sa réélection avec ces annonces. Les partis d’opposition turcs réclament depuis plusieurs semaines des élections anticipées et le retour à un système parlementaire qui amoindrirait le pouvoir de la présidence.
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Pour répondre à l’angoisse d’une classe moyenne écrasée sous le poids de l’inflation, Recep Tayyip Erdogan a annoncé jeudi la revalorisation du salaire minimum à 50% – ce dernier passant de 2 825 à 4 250 TL, soit 295 euros. Avec le manque d’indépendance de la banque centrale – dont le président Erdogan a limogé trois directeurs depuis 2019, un interventionnisme peu orthodoxe et une dépendance extrême aux financements extérieurs –, l’économie turque est un cas d’école de naufrage.
A rebours des théories économiques classiques, Erdogan est persuadé que la baisse des taux d’intérêt entraîne une baisse de l’inflation. Cette situation économique catastrophique s’associe paradoxalement à une forte croissance, estimée cette année à 7,4% par rapport à 2020, en raison notamment d’un volume soutenu d’exportations. Mais cette croissance ne rime hélas pas avec une amélioration du niveau de vie des Turcs, tant l’inflation est forte.
«Si Dieu le veut, l’inflation baissera»
Les entreprises, fortement dépendantes de produits importés, sont touchées de plein fouet par les oscillations de la monnaie nationale. Face à l’entêtement du chef de l’Etat à prôner l’abaissement des taux d’intérêt, l’organisation patronale Tüsiad, revendiquant 85% des entreprises exportatrices de Turquie, a fait part de sa préoccupation face à l’interventionnisme du chef de l’Etat. «Les choix politiques mis en œuvre ici ne créent pas seulement de nouveaux problèmes économiques pour les entreprises, mais pour tous nos citoyens», a ainsi déclaré le lobby des grandes entreprises, avant d’appeler à «évaluer les dommages causés à l’économie et à revenir à une économie de marché libre».
Erdogan a justifié sa politique monétaire en faisant valoir les préceptes de l’Islam. «En tant que musulman, je ferai ce que notre religion me commande de faire», a-t-il déclaré au cours d’une allocution diffusée dimanche soir. L’usure est en effet interdite par l’islam, et le président turc considère les taux d’intérêt comme étant «un mal qui rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres». «Si Dieu le veut, l’inflation baissera dès que possible», a-t-il ajouté.
En attendant, les errements de la politique économique turque ont des conséquences bien réelles sur le quotidien de millions de familles hantées par le spectre de la pauvreté. Dans les supermarchés stambouliotes, où des antivols ont fait leur apparition sur les boîtes de lait infantile, le prix de denrées de base – telles que l’huile de tournesol – ont vu leur prix s’envoler de 50% en un an. Devant les dépôts de pain gérés par la mairie d’opposition d’Istanbul, des files interminables de personnes espèrent acquérir un pain de 250 grammes vendu 1,25 livre (6,8 centimes) – contre trois livres en moyenne dans les boulangeries stambouliotes. Une différence de quelques centimes devenue cruciale pour des ménages turcs aux prises avec une inflation de 21% en un an.